Episode 17 : « La Brasserie des Arts »

Image Active

 

La Brasserie des Arts

 

Je suis faite comme une souris.

Faite et bien refaite. 

Moi, l’agent 53, la perle des Services Secrets, probablement la meilleure espionne de ma génération, je suis atterrée au fond de la salle, près de la fenêtre, avec vue sur le pavé détrompé de la grand-place de Nivelles.

Devant moi, à quelques tables, Anatole Huène, éternel baroudeur dont je croyais à tort qu’il avait terminé son existence tumultueuse dans le ventre d’un caïman opportuniste. Sa présence en ces lieux est tout à fait incongrue. Il a déposé à côté de sa serviette son chapeau de toile et s’appliquait à se curer méthodiquement les ongles de son opinel. Malgré son incontestable ressemblance avec Indiana, il devait avoir dans les soixante ans. Pour m’endormir, ma mère me racontait comment il avait tenu en respect telle ou telle bande de sauvages rien qu’à la force du regard.

Sur la droite, de l’autre côté de la pièce, un couple devisait avec enthousiasme. Elle, la quarantaine défraîchie, vêtue d’un tricot informe et d’une jupe à godets. Thérèse Campette, mon ex-secrétaire, pour qui l’heure de la vengeance devait avoir sonné, rythmait la conversation de son cheveu terne. Face à elle, le sourire enrôleur et l’œil câlin, Axo, himself, l’encourageait à donner du chignon et des détails.

Entre leurs deux tables, la sortie. Porte à battant et sas anti-courant d’air qui ne faciliterait pas ma fuite si, d’aventure, je pouvais la prendre.

Derrière l’infâme couple, sur la droite, un couloir menait aux commodités, autre possibilité d’envol.

A ma droite, les cuisines dont je ne connaissais rien, à peine maman m’avait-elle appris à cuire les chicons en les faisant suer à petit feu sous une feuille sulfurisée.

 

Suer à petit feu. L’idée m’est venue tout naturellement. Il fait chaud ici. Très chaud. Une souricière ne saurait être climatisée mais la température dans la pièce doit avoisiner les quarante mugissants, à moins que ce ne soit la mienne. N’ayant pas de mercure dans mon petit matériel, l’hypothèse reste sans réponse.

 

Je n’avais vraiment aucune intention de manger cette casserole de moules, premier choix qui me soit venu à l’esprit pour éconduire le gentil monsieur au calepin, mais le fumet iodé me monte aux narines et je profite de sa vapeur pour masquer mes pensées à l’adversaire.

 

Tandis que mes doigts dégoulinent de jus, mes neurones ne sont pas en reste.

Si je me retrouve ici, échouée comme une canette vide sur un brise-lames, c’est du fait de 53 bis. Cette petite n’était peut-être pas tout à fait prête à affronter le monde extérieur. Malgré ses grands airs et son ego démesuré, n’oublions pas que ce n’est encore qu’une enfant,  techniquement parlant bien sûr.

 

« M’uri » lui ai-je dit ce midi, « peux-tu analyser ces deux missives interceptées hier soir par Millesoupirs ».

 

Ayant décidé de lui lâcher complètement la bride, je n’ai pas douté un seul instant de son interprétation des choses. Elle m’apprend que ce soir, un rendez-vous important se déroulera dans une brasserie nivelloise. Seront présents Axo et une autre personne non encore identifiée. L’objet de cette rencontre : transmission de données classées X.  Elle me propose de m’y rendre pendant qu’elle fera le guet au-dehors, savamment dissimulée.

 

La providence vient mettre un terme à mes réflexions, quand le patron des lieux invite tous les hommes de sexe masculin à quitter la salle.

 

Obnubilée par mon idée de piège, je n’avais pas pris attention au podium disposé à l’entrée. Alors qu’Axo, d’un baisemain adorable, prend congé de la traîtresse et s’en retourne vers de nouvelles aventures sans s’être aperçu de ma présence derrière les mollusques, Anatole Huène s’éclipse dans les toilettes.

 

La lumière diminue, l’assistance retient son souffle et prennent place sur l’estrade quelques musiciens ainsi que trois mâles en string, dopés au lait sucré concentré.

 

Saisissant de deux doigts poisseux, les messages glissés dans mon sac, j’en comprends enfin la teneur.  Il s’agit en fait d’un rendez-vous donné à la Campette par Axo dans l’espoir de lui soutirer des informations secrètes et de l’annonce d’un spectacle des Chippendales au même endroit.

 

Happant la dernière bête de la casserole d’une habile avancée des lippes, je respire et faisant contre mauvaise fortune bon beurre, je me laisse envahir par les déhanchements virils.

Un énervant point lumineux sur mon bras gauche me ramène à la réalité. Détournant avec difficulté le regard du spectacle captivant, je l’aperçois.

Là-haut, tenant compagnie à Jean de Nivelles dans le clocher de la collégiale, le minois irréel dans la lune blafarde, la Petite, un miroir à saupoudrer à la main, me signale en corse qu’elle domine la situation.

Ignorant ses appels intempestifs, je la laisse croupir dans les sommets, pour reporter mon attention sur les corps d’élite.

 

Maman avait raison, Anatole Huène devait être capable de rendre dociles les sauvages sanguinaires rien qu’à la force du regard. Si l’on en juge par sa prestation sur scène ce soir, il devait disposer de bien d’autres armes encore. Quoi qu’il en soit, 53 bis est bien trop innocente pour apprécier son subtil jeu de jambes.

Si je survis à la nuit, j’envisagerai, peut-être, de délivrer la princesse de sa tour d’ivoire demain matin.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

La Brasserie des Arts

Grand-Place, 51

1400 Nivelles

Tél : 067 21 83 73 

 

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 16 : « In den Appelboom »

Image Active

 

In den Appelboom

 

« Descends tes talons, pointe du pied vers l’intérieur, et les mains basses ! »

Cela ne fait jamais que la 53e fois que je le lui répète. Elle a de la chance, 53bis, d’avoir une maîtresse aussi gentille que moi. J’en ai connu, qui pour moins que ça, recevaient des coups de cravache sur les doigts. Avec moi, jamais ! Parmi mes nombreuses qualités, la patience et la compréhension sont certainement celles qui me valent l’admiration de tout le Service et qui, je pense, forcent même le respect de mes ennemis crachés, jurés.

 

La petite avait appris l’équitation ou du moins, avait appris à monter à cheval dans son Maroc d’adoption. Elle y avait conquis le cœur de hordes de cavaliers sentant bon le sable chaud et le mouton, rustres mâles au visage buriné, esbaudis de voir une si pâle créature imposer sa façon de penser aux étalons rétifs.

Mais son style était déplorable.

Dès son engagement, je m’étais hâtée de la vêtir correctement et j’avoue que les bottes Hermès en cuir souple, dont j’avais réussi à faire passer la note en frais de bureau, lui conféraient un charme indiscutable. Une fois dégrossie, cette tendre enfant pourra se montrer, elle aussi, digne de l’Art Equestre. Enfin, je le souhaite.

 

Mais un tien vaut mieux que deux tu l’auras et je crois que nous allons en rester là aujourd’hui.

Attendrie par son air boudeur et sa susceptibilité à l’égard de mes conseils, je ne peux m’empêcher de me revoir à la même taille.

C’était en hiver. Un hiver particulièrement froid. Les routes gelées empêchaient l’usage de tout véhicule. Je n’étais encore qu’une adolescente mais reconnaissant en moi les ingrédients qui président à l’accomplissement d’un grand destin, maman fit seller ma jument et me remit solennellement un mystérieux colis à acheminer urgemment de l’autre côté de la forêt. Depuis ce jour, la neige ne m’a  jamais plus semblée aussi froide, les arbres aussi hostiles, les buissons aussi inquiétants, mon pouls aussi rapide. Enigma, ma belle baie, a filé comme le dernier bas d’un matin du rendez-vous important, silencieuse et rassurante entre mes cuisses. Notre contact nous attendait à l’orée du bois. J’avais réussi ma première mission. J’en avais les joues roses d’excitation. Contenue.

 

La jugeant fin prête pour la cérémonie de demain, j’octroie à ses jolies fesses malmenées par le cuir la douce récompense des sièges rebondis de mon bolide et je nous emmène à une vitesse indécente vers une table accueillante.

 

La silhouette claire de l’Appelboom, ancienne ferme bruxelloise, se découpe artistiquement dans le crépuscule comme ces petites rides attendrissantes au coin des yeux d’Axo quand il sourit.

L’odeur douceâtre des champs moissonnés nous plonge aussitôt dans une rêverie pastorale à peine troublée par l’enthousiasme des 228 chevaux sauvages qui hennissent sous mon capot.

La salle est vaste, toute en longueur, uniquement éclairée à la bougie et décorée de photos sépia et de souvenirs de brocante.

 

Nous prenons place à une simple table de bois brut et sous l’œil bienveillant d’une institutrice de village et de sa classe en culotte courte, immortalisées sur le mur de droite, nous fondons sur la carte comme deux grenouilles de bénitier à une fête paroissiale.

 

C’est qu’il s’agit de prendre des forces. Demain, c’est la Saint Hubert et la bénédiction de tous les animaux qui illuminent nos petits matins blafards. Bien sûr, nous présenterons nos fidèles coursiers, fiers et la robe luisante dans la lumière hivernale. Les sœurs Michemolle feront bénir leurs affreux siamois, le major Depris, sa pie voleuse, Mirena, sa guenon des Iles Vierges. Quant à Millesoupirs, il se montrera seul, le port altier et la démarche assurée, nu dans sa peau d’ours, soigneusement décrottée pour la circonstance.

 

Affamées, nous le sommes. De l’appétit, nous en avons. Du courage, plus qu’il n’en faut. De l’intelligence et de la beauté, à revendre.

Mais qui pourrait croire qu’une naine, même souffrant d’une hyperthyroïdie aiguë associée à un ver solitaire, puisse engouffrer une telle quantité de nourriture ?

En tous cas, moi, je n’aurais jamais imaginé que, dans un petit corps de 43 kgs bien que muni d’un estomac disproportionné, l’on puisse faire tenir une brochette de petits boudins au confit d’oignons, suivie d’un pavé de bœuf et trio de stoemp en terminant par une mousse au chocolat maison, tout en sachant qu’à l’apéritif, la belle avait insisté pour grignoter une portion de tête pressée !

 

J’avais renoncé à lui prodiguer mes ultimes recommandations pour l’évènement du lendemain. Une fille du désert qui a pratiqué le pur-sang arabe est sûrement apte à maîtriser un banal selle français quand les cors de chasse résonneront dans la brume matinale.

 

Advienne que pourra. Et comme son processus de digestion ne sera certainement pas terminé à l’aurore, l’on peut espérer que ses seuls neurones irrigués seront ceux de la raison et non ceux de l’initiative personnelle.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

 

In den Appelboom

Rue du pommier 401

1070 Bruxelles

Tél : 02 520 73 03 

 

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 15 : « Salon 58 »

Image Active

 

Salon 58

 

La vue est imprenable.

Moi aussi.

Assise en tailleur sur la partie supérieure de l’atomium, aussi sereine qu’une geisha sur ses boules, je m’accorde un moment de suprême répit.

Primo, je les ai ! Et me prouvant à moi-même que j’ai encore toute ma tête, je me retiens, du bras gauche, de les brandir, du bras droit, ne voulant pas risquer le malencontreux coup de vent qui emporterait les microfilms vers d’autres poings.

Deuxio, j’invoque mentalement les cieux pour arriver à concentrer sur le minuscule écran de commande à distance de l’hélico dont Mathieu m’a révélé tous les secrets en quelques heures d’apprentissage accéléré.

Quatro, je me félicite, cette fois à haute et intelligible voix pour me donner du cœur au ventre, de ma subtile manœuvre.

Poursuivie en plein ciel par mon mien espion préféré à moi à qui j’avais ravi les plans du Falloscope, je me suis mise à circonscrire des cercles ronds concentriques de plus en plus circulaires au-dessus du merveilleux édifice reposant sous mes fesses. Jusqu’à lui faire perdre la raison et les boules. Jusqu’à ce qu’au 186e tour, je m’éjecte subrepticement du Frelon et le laissant s’envoler seul, tel une alouette, gentille alouette, vers le Sud. Emportant dans son sillage l’Axo désaxé.

Le coup du kaléidoscope dans toute sa splendeur.

Mais à présent, battue par les beauforts, je lui ferais bien le coup de la fille qui a froid, voire celui de la panne des sens.

N’écoutant que l’atavique courage qui coule dans mes veines, d’un geste sûr, je me défais de ma guêpière, la déploie au vent et ce minuscule morceau de dentelle micronisée se gonfle tel un  gracieux parachute qui me permet de fouler bientôt le sol de notre belle nation. Négligeant la remise en place de l’accessoire, d’une main, je le replie dans le sens du poil tandis que de l’autre, j’arrête le flux automobile pour m’élancer vers la soucoupe volante échouée dans la rue voisine et aperçue de là-haut dans l’essieu.

 

A peine essoufflée et les joues élégamment rosies par ma course, je franchis le seuil de ce providentiel engin spatial.

La salle est quasiment vide et mon entrée trop discrète est à peine remarquée par le personnel affairé, en pleine discussion footballistique.

Quelques blondes, nonchalamment accoudées au bar d’acajou, sirotent un cocktail, en commentant leur soirée de la veille.

Ah, cette atmosphère bon enfant est loin de la poursuite aérienne que je viens de vivre. Ce qui n’est certes pas pour me déplaire. Le cadre est joli, l’espace vaste et l’on a même poussé le souci du détail jusqu’à y suspendre une planisphère stylisée métallique pour me rappeler le sens des réalités.

 

Je suis assise depuis une seconde quand un discret appel me signale que le Frelon a regagné la Ruche sans encombre.

Je suis assise depuis quinze minutes quand un évanescent serveur daigne faire un peu de cas de mon désir de me sustenter.

Je suis assise depuis trente minutes quand un évanescent martini s’offre l’honneur de se répandre dans ma gorge ravinée par la soif.

Je suis assise depuis trois quarts d’heure quand une querelle éclate à la table voisine.

Occupée par un petit couple accompagné de deux blonds chérubins au visage angevin. Lui le cheveu de couleur incertaine, le teint cireux. Elle, robuste rousse en ébullition. Eux, les nains, en pleine bagarre de cure-dents.

 

Je suis assise depuis une heure quand les éléments du drame s’agencent. A gauche et venant de passer la porte d’entrée, Hans Lègel, l’espion venu de Pointe-à-Pitre. A droite et venant de passer la porte des cuisines, le garçon, porteur de tous mes espoirs : une palette de Sushi roll et de Sashimi à la californienne, mets à l’énoncé le plus court sur la carte et dont j’avais estimé à tort qu’il arriverait le plus vite sur la table.

 

Je suis assise depuis une heure et trente secondes quand l’inévitable se produit. Lègel me voit. Je bondis hors de mon fauteuil. Imprime un mouvement de toupie au garçon et l’envoie, lui et ses sushi, percuter l’espion venu du froid. D’une pirouette, je me suspends au lustre de cristal, me balance et parachève le travail en enfonçant mes talons aiguilles dans les yeux au riz du méchant.

 

Cette indispensable mise au point effectuée, je m’apprête à quitter dignement les lieux quand le plus petit des gnomes de la table d’à-côté vient trifouiller dans ma poche et en ressort mon précieux trésor. La guêpière, je lui aurais gentiment laissée, les microfilms, plutôt mourir. J’ai à peine le temps de réaliser son geste qu’il les fourre dans le canon de son Mauser  en plastique et les tire à bout touchant dans la bouche hilare de son frère qui se dépêche de les avaler sans demander son reste.

 

Je souffre mille morts. Anéantie. Abusée par un nain.

Dès que je leur aurai tordu le cou à ces deux-là, je les confierai à ma mère plutôt que de les voir passer à l’ennemi.

Y a pas d’âge pour apprendre un vrai métier !

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Salon 58

Avenue de l’Atomium, 6

1020 Bruxelles

Tél : 02 479 84 00

 

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 14 : « De Krebbe »

Image Active

De Krebbe

 

Arturo Vidol vient d’être papa !

Le petit Arthur, digne fils de son père, a poussé son premier cri en rafale, la nuit passée, à l’heure où tous les bas sont gris. La colonelle a fait preuve d’un courage exemplaire dans l’aspérité, mettant au monde avec le sourire, le futur chef de bile des Services Secrets.

 

Le colonel nous invite, sans discussion, à rendre hommage à sa géniture ce jour à 11 heures précises. Soit dans un quart d’heure.

 

Mirena, blême, dépose la missive, s’empare d’une clé, l’introduit dans la serrure dérobée située dans le deuxième tiroir gauche de son bureau et en un instant, nous passons au plan-catastrophe.

 

S’ensuit alors une admirable chorégraphie d’espions en action. Tel un seul homme, et après une course effrénée de 2 minutes 20 secondes 8 dixièmes, nous nous engouffrons dans l’Alouette qui piaffe dans le hangar escamoté derrière l’hôtel de ville.

 

Spécialiste du vol stationnaire et des dix petits bonshommes sans rire, le pilote nous largue sur le toit de la clinique, laissant tourner les palles au point mort pendant les compliments.

 

La ponctualité étant la polissure des rois, nous franchissons l’huis à l’heure dite, rendons ombrage à la mère et l’enfant et regagnons notre fidèle coursier, le cœur léger du devoir accompli.

 

Mais il faut toujours qu’un brin de câble se glisse dans l’engrenage.

Pris en traître par un frelon égaré dans l’Alouette, notre pilote s’envole brutalement, emportant dans les airs les sœurs Michemolle, encore suspendues au bout de leur filin.

Négociant un atterrissage de fortune dans le parc des Muses, nous récupérons les espionnes convulsées, le lorgnon tressautant, la lèvre tremblante.

 

Je me décide à prendre les choses en main et avisant une sympathique taverne à deux encablures, j’emmène la petite troupe se remettre de ses émotions.

Gentiment accueilli par la patronne taisant fort judicieusement tout commentaire, dûment débarrassés de nos vestes et filins, nous prenons place dans la véranda située le long du boulevard, avec vue sur le tram.

 

A peine assises, nos deux rescapées prennent d’assaut le pauvre Mathieu, ex-virtuose de haut vol retombé sur le plancher des vaches et tentent de lui inculquer une infime part de leur érudition inégalée de championnes de Génisses en Herbe.

Le jeune homme, doux colosse formé à l’EMAC (Ecole des Malentendus Absurdes et des Contresens) a poursuivi sa carrière estudiantine par une formation plus classique de pilotage. Honteux de n’avoir pu résister à la piqûre de l’insecte, il ne résiste pas plus à la déferlante.

Par un phénomène bien connu des psychiatres, la personne ayant échappé de justesse à une mort horrible, se voit frappée soit de mutisme soit de logorrhée pathologique. Pour notre malheur, nous assistons au second effet.

Le quartier dans lequel nous nous sommes délicatement posés était en fait l’endroit de rencontre des bovidés du coin, voici quelques décennies. L’abreuvoir (« de krebbe ») en présentation dans l’entrée est le symbole de ce glorieux passé. On trouvait jadis un peu plus loin le célèbre établissement « La queue de vache ». Pas d’  « Etable » ou de « Pachi » recensé à ce jour. On le déplore …

 

Une fois ces précisions précisées, nous pouvons enfin nous atteler à la joyeuse tâche du choix de notre pitance.

La qualité des plats dégustés en entrée, des Saint-Jacques aux croquettes de crevettes maison en passant par les toasts aux champignons, met fin à la leçon.

De la cuisine ouverte sur la salle, le chef pousse un soupir de soulagement quand, enfin, se tait le flux de leur rengaine historique.

 

Après, il nous est impossible de nous dérober à l’atmosphère bovine et d’un commun accord tacite, nous nous jetons sur filets purs, onglets à l’échalote et entrecôtes de tous poils. Le tout arrosé par un excellent Patache d’Aux, qui présente cependant le défaut de donner un tour de bartavelle au moteur des voltigeuses de l’air.

 

Désireux d’échapper à un nouveau cours ex cathedra, nous sacrifions le dessert et demandons d’envoyer la note au colonel. Après avoir trinqué une dernière fois, nous emboîtons le pas au téméraire Mathieu, flanqué d’une sœur à chaque bras, pour retrouver notre véhicule sagement garé dans le parc, invisible sous sa bâche de tréponème crypté.

 

A ta santé, Arthur.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

De Krebbe

Avenue Brigade Piron, 35

1080 Bruxelles

Tél : 02 4104940


Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 13 : « Le Belga Queen »

 Image Active

Le Belga Queen

 

« Né un onze novembre de mère allemande et de père italien, le jeune Axo fut élevé dans les faubourgs berlinois durant sa petite enfance. Sa mère, future parturiente en visite au zoo, perdit les eaux à la vue d’un coït féroce entre deux grizzlis, et ce traumatisme, bien que déclenchant judicieusement son travail, l’avait rendue tout à fait aride. Elle avait donc confié le doux poupon à une nourrice répondant au nom de Bertha Velürr. Cette dernière, forte et généreuse matrone, avait pris sous son aile dorée et contre son blanc sein, le futur espion, en sus de son sien rejeton, un certain Berthold. La ressemblance grandissante entre les deux frères de lait ne permit bientôt plus le moindre doute sur leur paternité commune. Le bel Erico, père légitime d’Axo et Italien au grand cœur, n’avait jamais hésité à prodiguer son attention aux personnes du sexe faible et les hasards de la génétique firent que les demi-frères finirent peu à peu par se ressembler comme deux gouttes de lait. Dès leur troisième année, l’on fut obligé de nouer un ruban dans leurs jolis cheveux, rose pour Axo, bleu pour Berthold, afin de les distinguer.

Un soir d’été, il semble qu’une violente dispute ait éclaté entre les époux Velürr. En effet, victime d’un état de sobriété inhabituel et provoqué par la fermeture de tous les cafés de la bourgade suite à une action syndicale, Velürr s’aperçut que son fils n’était pas son fils, chose pourtant connue de tous depuis fort longtemps.

Notre service de renseignements perd malheureusement toute trace de Bertha et Berthold  après la légère altercation qui suivit l’étincelle de clairvoyance du mari cocu. »

 

Harassée par une journée surréaliste, car passée presque exclusivement à expliquer à ma têtue de ma mère la nécessité d’accepter ma nouvelle recrue sur ses bancs d’école, je m’étais enfuie de mon bureau souterrain pour me rendre dans un endroit nettement plus aéré et beaucoup plus serein. A cette heure de la soirée, le Belga Queen avec la hauteur de ses murs, la clarté de son espace et ses couleurs pures me procurait tout le changement d’atmosphère dont j’avais besoin.

J’avais finalement réussi à persuader maman de former M’uri, argumentant que sa taille menue lui conférait un avantage certain dans les planques de longue durée. Je lui obtins, à l’arrachée, six mois à l’essai.

 

Voyant arriver d’un pas alerte, une jeune dame très correctement vêtue d’une impeccable tenue noire et blanche, je déposai les renseignements confidentiels et posai mes yeux sur la carte.

Sérieusement déstabilisée par la lecture de cet édifiant rapport, je me laissai le temps d’un campari-orange avant d’opter, en toute féminité, pour le menu minceur.

 

Il y avait à peine une demi-heure, juste avant de planter mes pupilles devant le détecteur et de m’engouffrer dans l’ascenseur dérobé, un appel de Mirena me faisait savoir que les documents concernant Axo étaient devant elle. Son œil torve, chargé de choses que j’ignorais encore, acheva de me convaincre que l’air était plus respirable dehors.

 

J’en suis là. Là et clouée sur place. Là et clouée le plus calmement du monde dans un confortable fauteuil bas, au milieu d’une salle hallucinante au plafond de verre art déco. Là, à prendre la pleine mesure de ce que je viens de lire. Là, à comprendre enfin le don d’ubiquité de cet homme. De ces hommes. Axo et Berthold. Un seul espion, deux hommes. L’agent double par excellence. Lequel avais-je poursuivi en bus ? Lequel m’avait kidnappée au Parc Astrid ? Lequel m’avait éblouie par son maniement des baguettes au Wataro ?

 

L’idée de fouiller dans le passé d’Axo m’était venue suite aux fallacieuses assertions de mon ex-bras droit, cette idiote de Thérèse qui passait son temps à ânonner en silence : « elle est aaamourrreuse » au lieu de s’occuper de mes plantes vertes. Il est évident que cela n’aurait pu être le cas étant donné que je ne savais rien de cet individu. Maintenant que l’existence du masque de fer m’est dévoilée, il me paraît plus qu’urgent que l’agent 53bis occupe chaque minute de sa vie à devenir une espionne presque aussi brillante que sa supérieure. Nous ne serons pas trop de deux pour resserrer notre étau autour de leurs corps.

 

J’aurais dû attraper Millesoupirs au passage. Mais c’était son soir de couillon et rien ni personne n’aurait pu le détourner de sa partie hebdomadaire. Fondateur de la FAWA (Fringale Apoplectique le Week-end entre Amis), il m’aurait commenté les huîtres et l’aile de raie avec bonne humeur, aurait mis un nom sur chaque saveur subtile, détournant ainsi mon attention de l’objet de toutes mes obsessions. J’y penserai la prochaine fois et couillon ou pas, il m’accompagnera.

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Le Belga Queen

Rue Fossé aux Loups, 32

1000 Bruxelles

Tél : 02 217 21 87

 

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 12 : « Le Belle-Vue »

Image Active

Le Belle-Vue

 

Ma position commence à devenir quelque peu inconfortable et à l’instant-même où mes moyens et grands fessiers hurlent en silence, j’acquière la certitude que cette admiration sans borne que je voue au caméléon, gentil petit animal de compagnie des Amazones d’Amazonie, est entièrement méritée.

 

Totalement intégrée au décor surréaliste, cela fait une bonne demi-heure que je les observe. Déguisée en sorcière, assise du bout des fesses sur un balai suspendu au plafond, je ne perds pas une mie de la conversation laborieuse entre la Petite et l’Ours.

 

Hier, affamée, déshydratée et souffrant d’un bouton d’acné sur le menton, j’ai trouvé refuge au Belle-Vue.  Suivant de peu l’ingestion successive mais heureuse de boulettes sauce tomate et de boudin noir compote, arrosés de deux verres de Kriek, l’idée de tester 53bis a germé dans mon subtil esprit survolté.

 

Elle viendra ici. Entrera dans cette salle hallucinante, écarquillera les yeux devant les posters de Sandra Kim, les photos de Mamine Pirotte et les figurines de gilles en ribote décorant sobrement la pièce. Cherchera d’un air hagard son contact. Enfin elle s’assoira, déjà prête à craquer, face à mon complice préféré, le regard plein de questions.

 

Ce matin, alors qu’elle essayait de trier mon courrier du cœur, un message personnel lui est parvenu. Lui donnant un rendez-vous discret au 2 boulevard Reyers. Ordre lui était intimé de n’en souffler mot à quiconque, même pas à sa supérieure hystérique. L’homme l’attendrait dans la salle du fond, un feutre à la boutonnière, une rose rouge posée sur la table, la DH du dimanche précédent à la main.

 

Persuadée de rencontrer Axo dans toute sa splendeur, la pauvre enfant fut assez décontenancée. Millesoupirs, rentrant le ventre du mieux qu’il pouvait, se prit au jeu avec toute la subtilité dont il était capable. Souffrant d’un abcès dentaire gauche, il n’eut aucun mal à se tailler un profil aryen en remplissant sa joue droite de gaze hydrophile. Cette dernière, par définition, se gonflant peu à peu de salive, lui permettait de parler la langue de Goethe en allemand dans le texte. Son cheveu récalcitrant ne voulant pas être en reste, il y avait appliqué une généreuse couche d’un mélange de blanc d’œuf et d’eau oxygénée. Le résultat était teutonnant.

 

Les présentations faites de façon monosyllabalbutique, le malin Germain, pour réchauffer l’atmosphère, commanda en guise d’apéritif un schnaps et un cervelas pour deux. Le temps pour la belle de se plonger dans les méandres d’une carte digne d’un opéra-bouffe. Allait-elle opter pour la saucisse au kilomètre ou pour la vache folle sanglante ? Millesoupirs, quant à lui, devait hésiter entre le menu « fin du mois » et le « spécial cirrhose ».

 

Mais, par-dessus l’étang, soudain, j’ai vu passer les oies sauvages. Un vol de perdreaux par-dessus les champs montait dans les nuages. Une illusion d’optique, certes et générée par la fuite du calcium hors de mes cellules musculaires. La tétanie menaçait de me faire choir de mon frêle perchoir. Les volatiles n’étaient en fait qu’une joyeuse bande de musiciens venus fêter le festival de la moule. Et prenant place sur l’estrade, juste sous mes jupes.

 

Dès les premiers désaccords, je sentis mon derringer glisser horriblement de mes hardes pour aller résolument frapper la tempe de l’auteur-décompositeur.

Absorbée par la saga des microfilms errant prétendument entre l’hôtel de la plage à Sautin et le George V, l’innocente n’entendit pas l’écroulement du crooner. Situation dont je profitai immédiatement pour descendre d’un souple coup de rein de ma fidèle monture et m’asseoir à leur côté, non sans avoir récupéré mon arme mortelle.

 

Après un bref clignement oculaire de connivence, et nous débarrassant promptement de nos accessoires de scène, nous félicitons notre charmante collègue pour sa maîtrise d’elle dans cette simulation stressante.

Avant de la forcer doucement mais fermement à terminer son assiette.

Courage, ma belle enfant.

Ta vie d’espionne, aussi exceptionnelle puisse-t-elle être, ne sera pas de tout repos et un kilomètre haché, ça use, ça use la santé.

 

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

Le Belle-Vue

Boulevard Reyers, 2

1030 Bruxelles

Tél : 02 7057052

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 11 : « Restaurant Tassili »

Image Active

 

Restaurant Tassili

 

Mercredi passé, sur le coup de dix heures cinquante-trois, Thérèse Campette, mon infidèle secrétaire a remis sa démission.

Motif officiel : monotonie du boulot. Lassitude des relevés anémiques, des plantes vertes satellites, du nettoyage des traces de poudre sur mes gants, du tri du courrier de mes admirateurs dans l’armoire rose et des admonestations de ma supérieure antinomique dans la corbeille noire.

Motif officieux : mon sale caractère et ma furieuse obsession de retrouver Axo dont d’après sa féminine intuition, j’étais follement amoureuse. Selon son infaillible analyse de bigleuse zozotante, mon humeur s’est vraiment dégradée quand l’Ignoble m’a échappé au retour de la Brasserie en sautant dans une dépanneuse, emportant avec lui une audi mal garée. Prise au dépourvu, la culasse de mon os de jambonneau enrayée par une baie de genévrier, je n’ai pu que maudire une fois de plus le ciel. Comment pourrais-je aimer un tel individu, imbu de sa personne et fuyant comme une savonnette à chacune de nos retrouvailles ? Comment pourrais-je ?

 

Qu’importe, adieu veaux, vaches, cochons. Va mettre, Thérèse, ton chignon d’Antibaise, moi je serais plutôt pour, dans la résonance amnésique nucléaire et retourne à la préfecture dont je t’ai tirée.

 

Ce soir, je rencontre M’uri El Armani, jeune diplômée en cours du soir du trop peu connu V.I.N.T. (Vibrant Institut pour Nurses Thermogènes) et dont la candidature au poste de l’ex-Campette a retenu toute mon attention.

J’avais écrit : « Ch. JF pour tr. discret, en sous-sol. Conn. des langues et habilité manuelle indisp. ». « Je suis votre homme » m’a-t-elle répondu en toute simplicité.

 

Dans un souci de mise à l’aise de cette personne déterminée, mon choix pour cette entrevue se porte tout naturellement sur un restaurant maghrébin, réputé dans le quartier. Vu de l’extérieur, l’endroit ne paye pas de mine et c’est d’ailleurs tout ce que je lui demande. De la discrétion avant tout. A l’intérieur, la mélodie est plus envoûtante. Le décor aux murs travaillés, le petit jet d’eau aux couleurs locales et la simplicité authentique des plats ne pourront que séduire la recrue thermogène.

 

Quelle n’est pas ma surprise de voir apparaître une menue créature blonde au teint d’albâtre en tailleur pantalon noir et à peine plus lourde que la naine du GIGN au lieu de la gazelle des mille et une nuits que son patronyme annonçait.

Son vrai nom était en fait Galison mais toute petite, enfin toute jeune, elle avait fui pour le Maroc refusant d’épouser le fils du frère de son père qui n’était autre que son cousin, sinistre individu qui écrasait des limaces à coups de galoches. Adoptée par un riche négociant en vins qui l’éleva parmi ses filles et lui donna son nom, elle retrouva sa dignité et venait de terminer son cursus de VINT depuis peu.

 

Captivée par son émouvant récit, j’en oubliais de recracher les noyaux d’olive qui s’accumulaient dans ma joue gauche menaçant de détruire mon émetteur dentaire et faillis m’étrangler à l’évocation du jus de limaces que le fils de son oncle conservait précieusement pour la nuit de noces.

 

J’en arrivais presque à sentir le soleil de la méditerranée en couscoussant et en taboulant de tout mon soûl, suspendue aux lèvres de mon nouveau bras droit. Ah, la Campette pouvait aller se rhabiller, elle n’arrivait pas à la cheville de l’El Armani.

C’est la première VINT que j’approche d’aussi près et je la sens digne de parfaire son enseignement à l’EPEE. Celle-ci, je l’engage et je ne la lâche plus. Mentalement, je la nomme 53bis et je scelle notre accord dans la semoule.

 

Boostée par une glycémie qui nargue mon pancréas en plein effort insulinique, je lui abandonne les gâteries du dessert, ne fut-ce que pour le plaisir de la voir planter ses petites dents de souris dans les cornes de gazelle.

Elle devient alors mon auditoire, ma confidente, mon bâton de berger, ma poire pour la soif, ma fidèle comparse dans le crime et bientôt, elle n’ignorera plus rien des horribles machinations de l’Inaccessible.

Pour autant qu’elle juge bon de consulter les archives du bureau… Mon débit de paroles et la fâcheuse habitude de ne pas terminer mes phrases rendant plus ardue la mémorisation de mes tumultueuses aventures.

 

Imaginer les yeux d’Axo quand il sera entre les griffes d’un duo comme le nôtre me rend toute fiévreuse.

A moins que ce ne soit ce thé à la menthe, si délicieux.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

Restaurant Tassili

Rue Fossé aux Loups, 11

1000 Bruxelles

Tél : 02 219 15 68

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 10 : « La Brasserie Alsacienne »

Image Active

 

La Brasserie Alsacienne

 

Son boulot, c’est de m’emmener au boulot !

 

« Chauffeur, suivez ce bus ! »

Tétanisé sur son siège, le pauvre homme, la cinquantaine bien sonnée et encore six bouches à nourrir, est incapable d’obéir à mon injonction. Ses dix neurones restés valides depuis la bataille de Genappe se sont mis sur off.

Il n’y a pas une seconde à perdre. Devant, le 49 négocie déjà le virage vers les tunnels.

N’écoutant que mon bon cœur, j’effectue un massage rapide du sinus carotidien (aussi appelée « prise de Spock ») de l’ex-héros et le propulse inanimé sur le trottoir, en compagnie des autres usagers, usagés et terrorisés, et je prends les commandes du 53 m’apprêtant à passer en vitesse du son si besoin est.

 

Tout commença ce midi, quand, piétonne malgré moi pour cause de retournement de bolide dans le sens anti-horlogique, je vis passer une silhouette bien connue de l’autre côté du boulevard.

Fermentant probablement quelque projet machiavélique, Axo disparut de ma vue incrédule dans un véhicule banalisé frappé aux armes de la Stib.

Je n’avais pour moi que toute ma tête et contre moi que mes chaussures de pluie, fines sandales à talons qui ne tardèrent pas à se coincer dans le pédalier de l’Enterprise, bloquant les moteurs à plein régime.

Déroutant le 53, je file, à pas de loupe, telle une squaw sur le chemin de la bière, mon meilleur ennemi du monde, zigzagant gracieusement parmi le petit peuple ravi.

Encouragée par les klaxons admiratifs, j’atteins sans encombre la plage du débarquement, l’arrêt du Wetland Shooting Semper. Où, l’Innommable, emporté par la foule, s’engouffre, ignorant du danger.

Dégageant d’une habile rotation de la cheville mon talon qui piaffe, je lui emboîte le pas, échouant à maintenir entre lui et moi la distance de deux crocodiles de sécurité.

Emportés par la houle qui nous traîne, nous entraîne, écrasés l'un contre l'autre nous ne formons qu'un seul corps. Et le flot, sans effort, nous pousse, enchaînés l'un et l'autre et nous laisse tous deux épanouis, enivrés et heureux.

Entraînés par la moule, qui s'élance et qui danse une molle farandole, nos deux mains restent soudées. Parfois soulevés, nos deux corps enlacés s'envolent et retombent épanouis, enivrés et heureux.

Soudain, je pousse un cri parmi les rires. La boule vient l'arracher d'entre mes bras. Emportés par la goule qui nous traîne, nous entraîne, nous éloigne l'un de l'autre, je lutte et je me débats. Je crie de douleur, de fureur et de rage et je pleure.

Entraînée par la soûle qui s'élance et qui danse une folle farandole, je suis emportée au loin et je crispe mes poings, maudissant la poule qui me vole l'homme qu'elle m'avait donné et que j’ai cru ne jamais retrouver.

 

Que je retrouve finalement attablé face à une appétissante blonde, plantureuse choucroute garnie, rassemblant ses idées et ses sens en tous sens à la terrasse de la Brasserie Alsacienne.

 

Me glissant en silence face à lui et la chose odorante, je laisse flotter sur mes lèvres un sourire énamouré pour le hasard qui nous réunit.

 

Nous nous parlons du bout des yeux, lui rongeant son os, de jambonneau, moi, parcourant d’un sourcil froncé la carte hétéroclite.

N’ayant pas eu le temps de composter mon ticket de bus, je dispose encore de quelques euros au fond de mon sac et le prix abordable des victuailles proposées est fait pour me plaire. Par contre, je remarque d’emblée qu’on a fait une grôôôse blague au responsable de la carte des vins en lui filant un clavier azertkwert, histoire qu’il réinvente l’orthographe. Le pauvre homme qui en a omis les noms de certains  propriétaires, se rattrape en nous proposant 3 millésimes de Cahors, et termine en beauté par quelques clus crassés égarés entre les scampis et le stoemp de poireaux.

 

« J’arrive, j’arrive, bien sûr j’arrive mais j’ai jamais rien fait d’autre que d’arriver. » me lance le garçon efficace.

 

Ayant besoin de me démouler quelque peu, je prends d’assaut un filet pur dépoulinant de jus à s’en lécher les bobines et contemple mon meilleur ennemi pratiquer sans anesthésie l’exérèse d’une fibre porcine coincée dans sa fausse molaire.

 

Venue sans autre arme que mon charme et mon intelligence, l’opportunité de ne pas faire chou blanc se présente enfin à moi.

Je parviens à duper l’Affreux, glissant entre ses côtes de maille, le fémur blanchi avant que le zélé n’emporte son assiette.

De nouveau, soudés l’un à l’autre par mon 9 mm en os mâché, nous ne formons qu’un seul corps.

Axo est à moi. Comme je suis heureuse. La vie est belle.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

 

La Brasserie Alsacienne

Westland Shopping Center

Boulevard S. Dupuis, 529

1070 Anderlecht

Tél : 02 520 11 66

 

 

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 9 : « Da Valentino »

Image Active

Da Valentino

 

Peu à peu, je retrouve mes esprits et l’usage de mes neurones.

J’ai dû être droguée pour avoir été aussi incapable de me défendre qu’une grenouille de bénitier percluse d’arthrite galopante face à un militant du Vlaams Blok dans les rues d’Anvers la nuit.

Mes yeux commencent à s’habituer à la pénombre.

Je suis dépenaillée et enchaînée, mains derrière le dos, à un anneau rouillé mais solidement fixé dans le mur de ce qui ressemble à une cave. Je n’aperçois pas de porte, juste une trappe, représentant mon unique chance de salut.

La situation est grave mais pas désespérée et petit à petit, toutes les pièces du puzzle s’agencent.

 

En début d’après-midi, un message anodin avait abouti à notre Q.G.  Le texte succinct avait été plus commode à passer au peigne fin que les 20 volumes des Rougons-Maquart. Il comportait juste les quatre mots suivants : « Allez les Mauves » et était signé UAQVVDB, ce qui signifie en langage crypté : « un ami qui vous veut du bien ».

Cela ne faisait aucun doute, ce goujat d’Axo avait refait surface et essayerait d’entrer en contact avec moi lors du prochain match du Spotting d’Anderlecht.

Usant des mes contacts dans les milieux sportifs, j’obtiens assez facilement une place pour la rencontre de ce soir et débordante d’adrénaline, je file sans plus tarder vers l’espoir de retrouver la trace des insaisissables microfilms.

 

Arrivée bien trop tôt sur le théâtre des évènements et envahie par une incroyable envie de tomates, je repère un gentil petit ristorante. Et c’est assez détendue, parce que trop confiante, que je prends d’assaut la première table me permettant de voir le déferlement des écharpes bicolores vers l’entrée du stade.

 

Je savoure une grosse heure de calme avant de me lancer dans la bagarre et c’est en feignant de lire les conseils beauté de Marie-Claire que je mets à mal mon sourire en m’accrochant le palais sur une parfaite mozzarella industrielle.

J’ai hâte de réconcilier mes papilles avec la vraie vie et refermant d’un coup sec les niaiseries sur les rouges à lèvres de la rentrée, je me jette sur les rognons de veau façon du chef qui rendent enfin un peu de joie à mon petit estomac crispé.

D’un coup d’oeil circulaire jeté par-dessus mon épaule aux cinq coins d’une salle classique en forme de botte, j’entrevois enfin l’Affreux en train d’emporter une pizza calzone. De souche Italo-Germanique, ses goûts ne pouvaient que le mener ici et ce type de pizza devait sans doute lui rappeler les apfelstrudels de son enfance.

Terminant rapidement mon verre de Primitivo di Manduria et ignorant bêtement la sonnette d’alarme qui me signale le subit arrière-goût d’alka-sullitzer, je règle la modeste addition et emboîte le pas d’Axo en me fondant dans la masse des supporters.

 

Puis le trou noir.

Au détour d’un trottoir, encerclée d’hamburgers et de frites, je m’évanouis sur le pavé.

 

Pour me retrouver attachée dans cette cache qui sent l’oignon, la boue, la sueur et qui vibre des clameurs étouffées des tribunes.

Des facultés intellectuelles nettement supérieures à la somme de celles des vingt-deux gamins qui galopent au-dessus de ma tête me permettent de comprendre que je dois être quelque part sous la pelouse du parc Astrid.

Une analyse rapide de la situation m’offre enfin la solution.

Secouant d’un coup sec mon admirable chevelure, je détache ma pince à cheveux et la recueille dans mes mains. Sublime accessoire confectionné par un artisan helvète ayant emporté son secret dans la tombe, elle est munie de seize lames, d’une lime et d’une pince à épiler. Cette dernière, fidèle compagne, m’a déjà rendu de fiers services. Et c’est grâce à elle, qu’une fois de plus, je tire mon épingle du jeu, crochetant habilement le cadenas qui me retient.

Ensuite, c’est un jeu d’enfant de soulever la trappe vers la liberté.

Propulsée par mon élan, j’émerge nu-pieds, en robe déchirée, les cheveux en bataille à l’intérieur même du goal anderlechtois, à l’instant où le gardien plongeant du mauvais côté rate la balle tirée du point de penalty. Mue par un farouche sentiment de revanche, j’empêche le but par un magnifique arrêt des deux poings.

La cohue qui s’en suit est indescriptible.

La liesse de l’équipe se jetant sauvagement sur leur charmante sauveuse, les coups de sifflet hystériques de l’arbitre et le chaos dans le stade me vaudront probablement la plus grosse colère de ma supérieure arythmique. Sans compter le courroux de ma directrice de mère quand les images se disputeront la une du Journal du Hard ou du WE sportif !

Glissant petit à petit sous les shorts en folie, je m’extirpe doucement de la mêlée et gagne la sortie, ni vue ni reconnue.

 

Pour les microfilms, ce n’est que partie remise.

Mais bon, ce n’est pas tous les jours que j’arrête un but en Coupe d’Europe !

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

Da Valentino

Place de Linde, 9

1070 Anderlecht

Tél : 02 522 04 22

 

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire

Episode 8 : « La Table de l’Abbaye »

Image Active 

La Table de l’Abbaye

 

Repas d’affaires avec le L.I. (Labo de l’Impossible) ce midi.

Que j’avais tout à fait oublié. Et par conséquent, hélas, mille hélas, je me suis habillée n’importe comment ! Et cela m’agace.

Et faudrait que je sourie !!

Oui, faudrait. Faudra.

 

Arturo Vidol, lui est sur son 31. Ongles polis, flanelle hypoallergénique, cravate avec écusson  du Service (disponible à la boutique du fan-club), fil d’Ecosse et mouflette rebroussée.

Et bien sûr, il pilote de main de maître sa Mercedes trafiquée à travers la circulation. Sans un bruit, tout en harmonie. Comme une balle qui passe à travers le silencieux avant de s’enfoncer en douceur dans le pariétal d’un méchant.

A ses côtés, la colonelle transpire dans sa robe de grossesse en pétales de rose. Tissu aérien, dernier cri, dont l’étiquette recommande un nettoyage à sec. L’air conditionné savamment dosé empêche l’autodestruction de l’étoffe quand la mère en sursis se met à suer à grosses gouttes.

 

L’idée est la suivante. Obtenir la réalisation d’une panoplie d’armes révolutionnaires à un coût acceptable par le Conseil. A savoir, restent disponibles trois francs, six sous, si l’on tient compte du budget alloué aux effets personnels de Vidol et de Mirena, qui doivent chacun posséder autant de lingerie de luxe que la reine d’Angleterre de chapeaux. Ou que Millesoupirs de poils à son costume.

 

La Table de l’Abbaye est un endroit charmant. A deux pas, quinze si l’on porte des talons de dix centimètres, de l’avenue Louise. C’est une maison de style agrémentée d’une cour intérieure décorée avec goût. Chaises métalliques, pour protéger la forêt amazonienne, coussins rebondis, nappes immaculées, vaisselle de qualité, service impeccable et parasols télescopiques de fabrication nivelloise, capables de dissimuler notre rencontre des regards curieux.

 

A notre arrivée, le docteur Folarmure et sa collaboratrice Véronica Psull, fille naturelle d’un illustre savant de Berlin-Est, nous font signe du regard que l’endroit a fait l’objet d’une reconnaissance minutieuse et qu’il est dénué de systèmes d’écoute.

 

Après l’apéritif et un début de conversation tout en banalités polies, l’affaire tourne au vinaigre.

Non pas que la salade de homardine soit trop aigre à mon goût, elle est certes en tous points exquise, mais du coin de l’œil, je capte un reflet suspect provenant du magasin de vaisselle fine jouxtant le restaurant.

Discrètement, je déplace mon pied droit de 35,6 degrés pour qu’il se trouve juste en face du gauche de Vidol. Du gros orteil, j’enclenche le système à infrarouges, relié à nos nerfs optiques, et lui transmets automatiquement un compte-rendu détaillé de la situation.

Profitant de la pause avant le plat, en l’occurrence, un délicat poisson mais qui me fera faux-bond, je les prie de m’excuser et pars me repoudrer aux toilettes.

 

De là-haut, la vue est idéale. Je contrôle le jardin, le magasin et les maisons voisines.

Les suspects sont au nombre de trois.

Un individu vêtu d’une gabardine, démodée en cette canicule, fait miroiter entre ses doigts boudinés un fragile verre de cristal. Une geisha en kimono rajuste sa coiffure d’un air songeur en admirant les assiettes en porcelaine. Et enfin un adolescent en walkman tripote son gsm en plein milieu du magasin.

Dès lors, tout va très vite.

En une fraction de seconde, la dame a sorti de son chignon une longue épingle, qui se révèle être une sarbacane mortelle, l’engabardiné boudiné a fait tomber l’habit pour saisir son uzi et l’ado boutonneux, qui n’a rien vu rien entendu, continue d’envoyer des sms à sa nana.

Mais déjà, j’ai sauté par la fenêtre comme Belmondo dans sa décapotable, rebondi sur le parasol et je m’engouffre, après un salto avant, à travers la vitrine, neutralisant dans une sublime extension des jambes, les deux personnages par une savate digne de Bruce Lee.

 

Vidol daigne alors poser ses couverts et me prêter main forte. Saisissant d’autorité le portable du teenager interloqué, il réveille Millesoupirs en pleine sieste postprandiale, l’enjoignant de venir ramasser les deux gisants, le nez éclaté, l’un dans un saladier, l’autre dans l’argenterie.

 

Vérifiant furtivement de la dextre que l’ourlet de ma robe a tenu, je regagne mon siège à pas mesurés afin de savourer en toute béatitude professionnelle, un gratin de fruits bien mérité.

 

Il va sans dire la colonelle et la discussion avec le L.I. ont frôlé l’avortement et que, compte tenu des quelques bricoles froissées dans l’action, le maigre budget « armes secrètes » se fripe comme peau de soleil au chagrin.

 

Mais comme on ne fait pas d’omelette sans casser de verres, la Table de l’Abbaye et les renseignements que Mirena saura extirper des deux vilains valent bien le détour.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

La Table de l’Abbaye

Rue de Belle-Vue, 62

1000 Bruxelles

Tél : 02 646 33 95

  

 

  

Publié dans Agent 53 | Laisser un commentaire