
Restaurant Tassili
Mercredi passé, sur le coup de dix heures cinquante-trois, Thérèse Campette, mon infidèle secrétaire a remis sa démission.
Motif officiel : monotonie du boulot. Lassitude des relevés anémiques, des plantes vertes satellites, du nettoyage des traces de poudre sur mes gants, du tri du courrier de mes admirateurs dans l’armoire rose et des admonestations de ma supérieure antinomique dans la corbeille noire.
Motif officieux : mon sale caractère et ma furieuse obsession de retrouver Axo dont d’après sa féminine intuition, j’étais follement amoureuse. Selon son infaillible analyse de bigleuse zozotante, mon humeur s’est vraiment dégradée quand l’Ignoble m’a échappé au retour de la Brasserie en sautant dans une dépanneuse, emportant avec lui une audi mal garée. Prise au dépourvu, la culasse de mon os de jambonneau enrayée par une baie de genévrier, je n’ai pu que maudire une fois de plus le ciel. Comment pourrais-je aimer un tel individu, imbu de sa personne et fuyant comme une savonnette à chacune de nos retrouvailles ? Comment pourrais-je ?
Qu’importe, adieu veaux, vaches, cochons. Va mettre, Thérèse, ton chignon d’Antibaise, moi je serais plutôt pour, dans la résonance amnésique nucléaire et retourne à la préfecture dont je t’ai tirée.
Ce soir, je rencontre M’uri El Armani, jeune diplômée en cours du soir du trop peu connu V.I.N.T. (Vibrant Institut pour Nurses Thermogènes) et dont la candidature au poste de l’ex-Campette a retenu toute mon attention.
J’avais écrit : « Ch. JF pour tr. discret, en sous-sol. Conn. des langues et habilité manuelle indisp. ». « Je suis votre homme » m’a-t-elle répondu en toute simplicité.
Dans un souci de mise à l’aise de cette personne déterminée, mon choix pour cette entrevue se porte tout naturellement sur un restaurant maghrébin, réputé dans le quartier. Vu de l’extérieur, l’endroit ne paye pas de mine et c’est d’ailleurs tout ce que je lui demande. De la discrétion avant tout. A l’intérieur, la mélodie est plus envoûtante. Le décor aux murs travaillés, le petit jet d’eau aux couleurs locales et la simplicité authentique des plats ne pourront que séduire la recrue thermogène.
Quelle n’est pas ma surprise de voir apparaître une menue créature blonde au teint d’albâtre en tailleur pantalon noir et à peine plus lourde que la naine du GIGN au lieu de la gazelle des mille et une nuits que son patronyme annonçait.
Son vrai nom était en fait Galison mais toute petite, enfin toute jeune, elle avait fui pour le Maroc refusant d’épouser le fils du frère de son père qui n’était autre que son cousin, sinistre individu qui écrasait des limaces à coups de galoches. Adoptée par un riche négociant en vins qui l’éleva parmi ses filles et lui donna son nom, elle retrouva sa dignité et venait de terminer son cursus de VINT depuis peu.
Captivée par son émouvant récit, j’en oubliais de recracher les noyaux d’olive qui s’accumulaient dans ma joue gauche menaçant de détruire mon émetteur dentaire et faillis m’étrangler à l’évocation du jus de limaces que le fils de son oncle conservait précieusement pour la nuit de noces.
J’en arrivais presque à sentir le soleil de la méditerranée en couscoussant et en taboulant de tout mon soûl, suspendue aux lèvres de mon nouveau bras droit. Ah, la Campette pouvait aller se rhabiller, elle n’arrivait pas à la cheville de l’El Armani.
C’est la première VINT que j’approche d’aussi près et je la sens digne de parfaire son enseignement à l’EPEE. Celle-ci, je l’engage et je ne la lâche plus. Mentalement, je la nomme 53bis et je scelle notre accord dans la semoule.
Boostée par une glycémie qui nargue mon pancréas en plein effort insulinique, je lui abandonne les gâteries du dessert, ne fut-ce que pour le plaisir de la voir planter ses petites dents de souris dans les cornes de gazelle.
Elle devient alors mon auditoire, ma confidente, mon bâton de berger, ma poire pour la soif, ma fidèle comparse dans le crime et bientôt, elle n’ignorera plus rien des horribles machinations de l’Inaccessible.
Pour autant qu’elle juge bon de consulter les archives du bureau… Mon débit de paroles et la fâcheuse habitude de ne pas terminer mes phrases rendant plus ardue la mémorisation de mes tumultueuses aventures.
Imaginer les yeux d’Axo quand il sera entre les griffes d’un duo comme le nôtre me rend toute fiévreuse.
A moins que ce ne soit ce thé à la menthe, si délicieux.
Bons baisers de partout.
Agent 53
Restaurant Tassili
Rue Fossé aux Loups, 11
1000 Bruxelles
Tél : 02 219 15 68