Episode 14 : « De Krebbe »

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De Krebbe

 

Arturo Vidol vient d’être papa !

Le petit Arthur, digne fils de son père, a poussé son premier cri en rafale, la nuit passée, à l’heure où tous les bas sont gris. La colonelle a fait preuve d’un courage exemplaire dans l’aspérité, mettant au monde avec le sourire, le futur chef de bile des Services Secrets.

 

Le colonel nous invite, sans discussion, à rendre hommage à sa géniture ce jour à 11 heures précises. Soit dans un quart d’heure.

 

Mirena, blême, dépose la missive, s’empare d’une clé, l’introduit dans la serrure dérobée située dans le deuxième tiroir gauche de son bureau et en un instant, nous passons au plan-catastrophe.

 

S’ensuit alors une admirable chorégraphie d’espions en action. Tel un seul homme, et après une course effrénée de 2 minutes 20 secondes 8 dixièmes, nous nous engouffrons dans l’Alouette qui piaffe dans le hangar escamoté derrière l’hôtel de ville.

 

Spécialiste du vol stationnaire et des dix petits bonshommes sans rire, le pilote nous largue sur le toit de la clinique, laissant tourner les palles au point mort pendant les compliments.

 

La ponctualité étant la polissure des rois, nous franchissons l’huis à l’heure dite, rendons ombrage à la mère et l’enfant et regagnons notre fidèle coursier, le cœur léger du devoir accompli.

 

Mais il faut toujours qu’un brin de câble se glisse dans l’engrenage.

Pris en traître par un frelon égaré dans l’Alouette, notre pilote s’envole brutalement, emportant dans les airs les sœurs Michemolle, encore suspendues au bout de leur filin.

Négociant un atterrissage de fortune dans le parc des Muses, nous récupérons les espionnes convulsées, le lorgnon tressautant, la lèvre tremblante.

 

Je me décide à prendre les choses en main et avisant une sympathique taverne à deux encablures, j’emmène la petite troupe se remettre de ses émotions.

Gentiment accueilli par la patronne taisant fort judicieusement tout commentaire, dûment débarrassés de nos vestes et filins, nous prenons place dans la véranda située le long du boulevard, avec vue sur le tram.

 

A peine assises, nos deux rescapées prennent d’assaut le pauvre Mathieu, ex-virtuose de haut vol retombé sur le plancher des vaches et tentent de lui inculquer une infime part de leur érudition inégalée de championnes de Génisses en Herbe.

Le jeune homme, doux colosse formé à l’EMAC (Ecole des Malentendus Absurdes et des Contresens) a poursuivi sa carrière estudiantine par une formation plus classique de pilotage. Honteux de n’avoir pu résister à la piqûre de l’insecte, il ne résiste pas plus à la déferlante.

Par un phénomène bien connu des psychiatres, la personne ayant échappé de justesse à une mort horrible, se voit frappée soit de mutisme soit de logorrhée pathologique. Pour notre malheur, nous assistons au second effet.

Le quartier dans lequel nous nous sommes délicatement posés était en fait l’endroit de rencontre des bovidés du coin, voici quelques décennies. L’abreuvoir (« de krebbe ») en présentation dans l’entrée est le symbole de ce glorieux passé. On trouvait jadis un peu plus loin le célèbre établissement « La queue de vache ». Pas d’  « Etable » ou de « Pachi » recensé à ce jour. On le déplore …

 

Une fois ces précisions précisées, nous pouvons enfin nous atteler à la joyeuse tâche du choix de notre pitance.

La qualité des plats dégustés en entrée, des Saint-Jacques aux croquettes de crevettes maison en passant par les toasts aux champignons, met fin à la leçon.

De la cuisine ouverte sur la salle, le chef pousse un soupir de soulagement quand, enfin, se tait le flux de leur rengaine historique.

 

Après, il nous est impossible de nous dérober à l’atmosphère bovine et d’un commun accord tacite, nous nous jetons sur filets purs, onglets à l’échalote et entrecôtes de tous poils. Le tout arrosé par un excellent Patache d’Aux, qui présente cependant le défaut de donner un tour de bartavelle au moteur des voltigeuses de l’air.

 

Désireux d’échapper à un nouveau cours ex cathedra, nous sacrifions le dessert et demandons d’envoyer la note au colonel. Après avoir trinqué une dernière fois, nous emboîtons le pas au téméraire Mathieu, flanqué d’une sœur à chaque bras, pour retrouver notre véhicule sagement garé dans le parc, invisible sous sa bâche de tréponème crypté.

 

A ta santé, Arthur.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

De Krebbe

Avenue Brigade Piron, 35

1080 Bruxelles

Tél : 02 4104940


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