Episode 13 : « Le Belga Queen »

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Le Belga Queen

 

« Né un onze novembre de mère allemande et de père italien, le jeune Axo fut élevé dans les faubourgs berlinois durant sa petite enfance. Sa mère, future parturiente en visite au zoo, perdit les eaux à la vue d’un coït féroce entre deux grizzlis, et ce traumatisme, bien que déclenchant judicieusement son travail, l’avait rendue tout à fait aride. Elle avait donc confié le doux poupon à une nourrice répondant au nom de Bertha Velürr. Cette dernière, forte et généreuse matrone, avait pris sous son aile dorée et contre son blanc sein, le futur espion, en sus de son sien rejeton, un certain Berthold. La ressemblance grandissante entre les deux frères de lait ne permit bientôt plus le moindre doute sur leur paternité commune. Le bel Erico, père légitime d’Axo et Italien au grand cœur, n’avait jamais hésité à prodiguer son attention aux personnes du sexe faible et les hasards de la génétique firent que les demi-frères finirent peu à peu par se ressembler comme deux gouttes de lait. Dès leur troisième année, l’on fut obligé de nouer un ruban dans leurs jolis cheveux, rose pour Axo, bleu pour Berthold, afin de les distinguer.

Un soir d’été, il semble qu’une violente dispute ait éclaté entre les époux Velürr. En effet, victime d’un état de sobriété inhabituel et provoqué par la fermeture de tous les cafés de la bourgade suite à une action syndicale, Velürr s’aperçut que son fils n’était pas son fils, chose pourtant connue de tous depuis fort longtemps.

Notre service de renseignements perd malheureusement toute trace de Bertha et Berthold  après la légère altercation qui suivit l’étincelle de clairvoyance du mari cocu. »

 

Harassée par une journée surréaliste, car passée presque exclusivement à expliquer à ma têtue de ma mère la nécessité d’accepter ma nouvelle recrue sur ses bancs d’école, je m’étais enfuie de mon bureau souterrain pour me rendre dans un endroit nettement plus aéré et beaucoup plus serein. A cette heure de la soirée, le Belga Queen avec la hauteur de ses murs, la clarté de son espace et ses couleurs pures me procurait tout le changement d’atmosphère dont j’avais besoin.

J’avais finalement réussi à persuader maman de former M’uri, argumentant que sa taille menue lui conférait un avantage certain dans les planques de longue durée. Je lui obtins, à l’arrachée, six mois à l’essai.

 

Voyant arriver d’un pas alerte, une jeune dame très correctement vêtue d’une impeccable tenue noire et blanche, je déposai les renseignements confidentiels et posai mes yeux sur la carte.

Sérieusement déstabilisée par la lecture de cet édifiant rapport, je me laissai le temps d’un campari-orange avant d’opter, en toute féminité, pour le menu minceur.

 

Il y avait à peine une demi-heure, juste avant de planter mes pupilles devant le détecteur et de m’engouffrer dans l’ascenseur dérobé, un appel de Mirena me faisait savoir que les documents concernant Axo étaient devant elle. Son œil torve, chargé de choses que j’ignorais encore, acheva de me convaincre que l’air était plus respirable dehors.

 

J’en suis là. Là et clouée sur place. Là et clouée le plus calmement du monde dans un confortable fauteuil bas, au milieu d’une salle hallucinante au plafond de verre art déco. Là, à prendre la pleine mesure de ce que je viens de lire. Là, à comprendre enfin le don d’ubiquité de cet homme. De ces hommes. Axo et Berthold. Un seul espion, deux hommes. L’agent double par excellence. Lequel avais-je poursuivi en bus ? Lequel m’avait kidnappée au Parc Astrid ? Lequel m’avait éblouie par son maniement des baguettes au Wataro ?

 

L’idée de fouiller dans le passé d’Axo m’était venue suite aux fallacieuses assertions de mon ex-bras droit, cette idiote de Thérèse qui passait son temps à ânonner en silence : « elle est aaamourrreuse » au lieu de s’occuper de mes plantes vertes. Il est évident que cela n’aurait pu être le cas étant donné que je ne savais rien de cet individu. Maintenant que l’existence du masque de fer m’est dévoilée, il me paraît plus qu’urgent que l’agent 53bis occupe chaque minute de sa vie à devenir une espionne presque aussi brillante que sa supérieure. Nous ne serons pas trop de deux pour resserrer notre étau autour de leurs corps.

 

J’aurais dû attraper Millesoupirs au passage. Mais c’était son soir de couillon et rien ni personne n’aurait pu le détourner de sa partie hebdomadaire. Fondateur de la FAWA (Fringale Apoplectique le Week-end entre Amis), il m’aurait commenté les huîtres et l’aile de raie avec bonne humeur, aurait mis un nom sur chaque saveur subtile, détournant ainsi mon attention de l’objet de toutes mes obsessions. J’y penserai la prochaine fois et couillon ou pas, il m’accompagnera.

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Le Belga Queen

Rue Fossé aux Loups, 32

1000 Bruxelles

Tél : 02 217 21 87

 

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