Da Valentino
Peu à peu, je retrouve mes esprits et l’usage de mes neurones.
J’ai dû être droguée pour avoir été aussi incapable de me défendre qu’une grenouille de bénitier percluse d’arthrite galopante face à un militant du Vlaams Blok dans les rues d’Anvers la nuit.
Mes yeux commencent à s’habituer à la pénombre.
Je suis dépenaillée et enchaînée, mains derrière le dos, à un anneau rouillé mais solidement fixé dans le mur de ce qui ressemble à une cave. Je n’aperçois pas de porte, juste une trappe, représentant mon unique chance de salut.
La situation est grave mais pas désespérée et petit à petit, toutes les pièces du puzzle s’agencent.
En début d’après-midi, un message anodin avait abouti à notre Q.G. Le texte succinct avait été plus commode à passer au peigne fin que les 20 volumes des Rougons-Maquart. Il comportait juste les quatre mots suivants : « Allez les Mauves » et était signé UAQVVDB, ce qui signifie en langage crypté : « un ami qui vous veut du bien ».
Cela ne faisait aucun doute, ce goujat d’Axo avait refait surface et essayerait d’entrer en contact avec moi lors du prochain match du Spotting d’Anderlecht.
Usant des mes contacts dans les milieux sportifs, j’obtiens assez facilement une place pour la rencontre de ce soir et débordante d’adrénaline, je file sans plus tarder vers l’espoir de retrouver la trace des insaisissables microfilms.
Arrivée bien trop tôt sur le théâtre des évènements et envahie par une incroyable envie de tomates, je repère un gentil petit ristorante. Et c’est assez détendue, parce que trop confiante, que je prends d’assaut la première table me permettant de voir le déferlement des écharpes bicolores vers l’entrée du stade.
Je savoure une grosse heure de calme avant de me lancer dans la bagarre et c’est en feignant de lire les conseils beauté de Marie-Claire que je mets à mal mon sourire en m’accrochant le palais sur une parfaite mozzarella industrielle.
J’ai hâte de réconcilier mes papilles avec la vraie vie et refermant d’un coup sec les niaiseries sur les rouges à lèvres de la rentrée, je me jette sur les rognons de veau façon du chef qui rendent enfin un peu de joie à mon petit estomac crispé.
D’un coup d’oeil circulaire jeté par-dessus mon épaule aux cinq coins d’une salle classique en forme de botte, j’entrevois enfin l’Affreux en train d’emporter une pizza calzone. De souche Italo-Germanique, ses goûts ne pouvaient que le mener ici et ce type de pizza devait sans doute lui rappeler les apfelstrudels de son enfance.
Terminant rapidement mon verre de Primitivo di Manduria et ignorant bêtement la sonnette d’alarme qui me signale le subit arrière-goût d’alka-sullitzer, je règle la modeste addition et emboîte le pas d’Axo en me fondant dans la masse des supporters.
Puis le trou noir.
Au détour d’un trottoir, encerclée d’hamburgers et de frites, je m’évanouis sur le pavé.
Pour me retrouver attachée dans cette cache qui sent l’oignon, la boue, la sueur et qui vibre des clameurs étouffées des tribunes.
Des facultés intellectuelles nettement supérieures à la somme de celles des vingt-deux gamins qui galopent au-dessus de ma tête me permettent de comprendre que je dois être quelque part sous la pelouse du parc Astrid.
Une analyse rapide de la situation m’offre enfin la solution.
Secouant d’un coup sec mon admirable chevelure, je détache ma pince à cheveux et la recueille dans mes mains. Sublime accessoire confectionné par un artisan helvète ayant emporté son secret dans la tombe, elle est munie de seize lames, d’une lime et d’une pince à épiler. Cette dernière, fidèle compagne, m’a déjà rendu de fiers services. Et c’est grâce à elle, qu’une fois de plus, je tire mon épingle du jeu, crochetant habilement le cadenas qui me retient.
Ensuite, c’est un jeu d’enfant de soulever la trappe vers la liberté.
Propulsée par mon élan, j’émerge nu-pieds, en robe déchirée, les cheveux en bataille à l’intérieur même du goal anderlechtois, à l’instant où le gardien plongeant du mauvais côté rate la balle tirée du point de penalty. Mue par un farouche sentiment de revanche, j’empêche le but par un magnifique arrêt des deux poings.
La cohue qui s’en suit est indescriptible.
La liesse de l’équipe se jetant sauvagement sur leur charmante sauveuse, les coups de sifflet hystériques de l’arbitre et le chaos dans le stade me vaudront probablement la plus grosse colère de ma supérieure arythmique. Sans compter le courroux de ma directrice de mère quand les images se disputeront la une du Journal du Hard ou du WE sportif !
Glissant petit à petit sous les shorts en folie, je m’extirpe doucement de la mêlée et gagne la sortie, ni vue ni reconnue.
Pour les microfilms, ce n’est que partie remise.
Mais bon, ce n’est pas tous les jours que j’arrête un but en Coupe d’Europe !
Bons baisers de partout.
Agent 53
Da Valentino
Place de Linde, 9
1070 Anderlecht
Tél : 02 522 04 22