Episode 7 : « Le Jardin de Catherine »

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Le jardin de Catherine


Cette fois, ça y est, je suis sûre que je vais y laisser ma peau.

Non, si jeune, c’est trop bête et pourtant, je n’ose hurler un cri de protestation de peur de déranger cette jeune personne qui, en suspension sur sa Honda, les épaules bien en arrière (et à n’en pas douter, les talons descendus), se démène dans la circulation de la capitale comme sur un parcours d’obstacles de 1m80.

 

Normalement, mais plus rien n’est normal chez nous depuis que le Falloscope nous a échappé, c’était Millesoupirs qui devait me cueillir à l’aéroport pour me conduire au centre ville.

Millesoupirs et non pas sa petite-fille !

La naine devait avoir moins de 13 ans et sous prétexte que son ours de grand-père avait dû être taximan dans une autre vie, elle conduisait depuis le berceau les engins les plus insensés.

Quelque part, si j’avais conservé la foi, j’aurais pu bénir le ciel qu’elle ne soit venue me chercher en rollers nucléaires en me jetant, avec un air de mépris suprême pour la lueur d’affolement dans mes yeux, un parachute ascensionnel.

 

Mourir pour des idées, d’accord mais de mort lente.

D’abord, si j’avais eu le choix, j’aurais eu l’idée ne pas descendre de l’avion, ensuite, à la vitesse de 145 kms/heure sur le boulevard Botanique, la mort ne sait être lente.

 

Le teint cireux, l’œil vitreux, le mollet miteux, je risque un pied hasardeux sur les pavés de la place Sainte-Catherine. J’en ai vécu des aventures, tant et tant que je pourrais les écrire et les envoyer en feuilleton électronique à des hordes d’admirateurs, mais jamais je n’avais remis ma vie entre les mains d’une gamine pré-pubère, insolente et pesant 40 kgs toute mouillée.

«  C’était chouette, hein ? Moi, plus tard, je ferai Forces d’Interventions Spéciales. »

Tant qu’à faire … On épaississait ses biberons au cassoulet pour qu’elle laisse dormir ses parents et dans ses veines coulait le feu de Dieu. Donc le G.I.G.N., Gang Imaginaire des Gamines Niaises ne pouvait que lui convenir. J’en convins.

 

Lui remettant le casque pastel orné de Barbie et de son ami en ballade sur des poneys roses, je défroisse d’un geste nonchalant ma robe en soie sauvage et mon orgueil en soi sauvé et c’est du pas décidé de Neil Amstrong en juin 69, année herpétique, que je traverse la salle du Jardin de Catherine pour me rendre dans son jardin, à Catherine.

 

Où m’attendent en toute simplicité un Millesoupirs, à qui j’ai envie de défriser la tête et le major Depris, tous deux déjà fort pris par la bouteille de Chardonnay de Somontano flottant vide dans le seau.

 

Joli jardin, le seul du quartier, vigne en pergola dont les raisins ont pu résister à la canicule de ce mois d’août mais pas aux doigts crochus de la pygmée que je traîne dans mon sillage comme une malédiction. De gentilles petites tables, en plastique pour protéger la forêt amazonienne, encadrent les vasques de fleurs.

Le tableau serait touchant si les deux individus hilares n’en faisaient partie.

 

D’une humeur orageuse, dont je suis fort peu coutumière, je tends une main molle à Depris et une joue évanescente au vieux en lui collant mon poing gauche, le pire, dans le plexus solaire.

 

On commande. On n’est pas là pour rire. Ni pour travailler. La Mirena est en voyage et ce n’est que demain que je lui ferai le rapport de mon escapade à Firenze, pour autant que ce ne soit pas la demi-portion qui aille la chercher à l’aéroport.

 

Menu à 40.

Nous dérapons d’entrée de jeu sur un carpaccio de Saint-Jacques lipido-saturé sans qu’une pointe vinaigrée ne vienne nous relever de notre glissade infernale. L’huile d’olive a au moins le mérite de faire blinquer l’appareil dentaire rutilant de la représentante du G.I.G.N.

Devant la mine contrite de Millesoupirs, j’éclate enfin de rire en repensant à mon trajet jusqu’ici.

 

Le demi-homard en belle-vue, par contre, a tout ce qu’il faut où il faut et on peut jouer en toute innocence à pince-mi et pince-moi (quoique pour le plantigrade ce soit plutôt mince-mi et mince-moi) sont sur un bateau.

Depris, en flagrant délit de vantardise, nous mine l’assaut d’un bunker à l’aide des trois carapaces disposées en carré sur la ligne bleue des Vosges et d’une aiguille à tricoter sortie de sa botte.

 

Le vieil ours soupire d’aise, la majorette s’esclaffe à la vue du major qui a planté les antennes du homard dans ses sourcils et imite Maya l’abeille, et le bar Victoria, à qui on avait rien demandé, a vite fait de se faire oublier au fond de nos petits ventres tendus.

 

Ah, finalement, on est bien à cette table au soleil à se faire des moustaches de chocolat chaud à la dame blanche et je me prends à espérer que demain, ce soit la petite qui ramène notre adorée supérieure prosaïque de l’aéroport et que cachés derrière un guichet, on se marre de sa tête offusquée quand elle lui tendra le casque Barbie.

 

Bons baisers de partout.

 

 

Agent 53

 

 

 

Le jardin de Catherine

Place Sainte-Catherine, 5-7

1000 Bruxelles

Tél : 02 513 19 92

 

 

 

 

 

 

 

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Episode 6 : « Le Canterbury »

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Le Canterbury

 

Mais qu’est-ce qu’elle me pèle !

Je vois d’ici ses lèvres pincées, ah Dieu, je déteste les petites bouches fines et perfides, et ses ongles impeccablement vernis. Ah, ce n’est pas elle qui irait arracher une petite peau qui gêne, d’ailleurs, elle n’a jamais de petite peau qui gêne, cette peau de vache. Je préférerais manger avec ce bon vieux Millesoupirs, lui au moins se sent bien dans la sienne, quel que soit le temps.

 

«  Agent 53, retrouvez-moi au Canterbury à dix-neuf heures trente.  Précises. »

Mirena choisit, Mirena dispose, et parfois Mirena indispose. Quoiqu’elle ne soit pas conçue pour.

 

Ma progression à travers la salle n’est pas facilitée par la migration des dîneurs de la terrasse vers l’intérieur. En effet, les cieux se sont fendus pour l’arrivée de son altesse et y ont été d’un gros orage d’été emportant les restes de ma bonne humeur.

Cet endroit lui sied à merveille.

Le décor, intemporel, n’a pas pris une ride depuis 15 ans, ma supérieure prothétique non plus. Une géométrie invariable aux tables serrées, des originaux d’Alechinsky et des logogrammes de Dotremont aux murs, un personnel efficace mais sans âme pour les reines du camouflage, et du camouflet, que nous sommes.

 

Je l’aperçois au fond de la pièce, flanquée aux tables voisines d’un monsieur en veste tyrolienne et d’un ermite qui lit Reverte dans le texte en mangeant son entrecôte au beurre rouge.

C’eût été dans un autre endroit que je les aurais tous deux pris pour des postulants passant leur examen d’entrée à l’EPEE. Mais la clientèle d’habitués de l’établissement se doit d’afficher ses signes de reconnaissance sociale. Sûr que Millesoupirs et sa peau d’ours auraient fait tache ici !

 

«  Agent 53, venons-en au fait. »

Ben, oui, ma belle, maintenant que tu t’es contentée de contempler du bord des yeux ton assiette de San Daniele, au demeurant de fort bel aspect, et de plonger ta lippe filiforme dans ton verre de Spa Reine, alors que je tentais d’oublier ta présence pour me concentrer sur un carpaccio aussi classiquement bon et aussi bien repassé que le col de la chemise du monsieur d’à-côté, ben oui, venons-en au fait !

 

« Il pleut toujours. »

Certes. Il pleut toujours. Est-ce une phrase codée d’une telle subtilité que ma mère aurait omis de me l’enseigner au cours de propédeutique de niveau 2 ? Non, il pleut toujours.

 

«  A ce jour, le professeur Corpus Lutéus a échoué. »

Ah, il pleut toujours donc. Et à présent, un invisible désarroi s’empare de moi. Les essais sur le Falloscope Comprimé Nucléaire n’ont pas abouti. Après maintes vérifications, lecture à la spectrométrie inversée, présentations à la truffe des chiens polissons, dilution dans des bains d’acide aux huiles essentielles, les microfilms se sont révélés être faux et n’être en fait que les plans d’un donjon dans un jeu de rôle pour adolescents attardés.

Cet échec est notre échec à tous et mon échec personnel.

Quand je pense à la fête chez Slurp pour couronner mon succès, à ma griserie, au rire des sœurs Michemolle, je me sens moi aussi devenir toute molle, de la tête aux fesses.

Et le quadrillage sur mon foie de veau grillé à l’anglaise face à l’américain, fleuron de la maison, de l’impassible Ana me fait penser au plan de New York, là où j’avais initialement retrouvé la trace des nos ennemis.

Maintenant, c’est cuit.

Un peu trop.

Je l’avais demandé saignant, ce foie de veau, saignant comme la grimace d’Axo dès que j’aurai mis la main sur lui. Je suis sûre qu’il est à l’origine de toute l’histoire. Ce mufle a osé me berner en m’aidant soi-disant à retrouver les plans.

L’heure de la vengeance a sonné !

Recalorisée, ragaillardie par les protéines animales, je vois les choses sous un autre jour.

 

«  Pas de dessert, l’addition, merci ! »

L’indestructible doit garder les idées claires, la ligne et l’église au milieu du virage.

Avec à peine un regard pour le garçon, Mirena règle, une fois n’est pas coutume, le repas, les lithographies, les vestes tyroliennes et me jette dans une rafale gris acier : «  vous savez ce qu’il vous reste à faire, agent 53 ! »

 

Oui, te regarder bien en face. Rester forte, blasée, indifférente. Et faire ce que je dois.

Mais avant tout, effectuer trois tours de ring à la vitesse de la mort, capote baissée, musique à fond, en remontant les pièces détachées de mon glock les yeux bandés.

Histoire de digérer.

 

Bons baisers de partout.

 

 

Agent 53

 

 

Le Canterbury

Avenue de l’hippodrome, 2

1050 Bruxelles

Tél : 02 646 83 93

 

 

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Episode 5 : « L’Estran »

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L’Estran

 

 

Je piaffais d’impatience.

Intérieurement.

Je mets quiconque au défi de deviner combien ses retards perpétuels m’agaçaient. D’autant plus que je la soupçonnais d’agir de la sorte pour tester ma résistance au stress.

Puéril. Ridicule. Mais elle ne se lasserait jamais de s’enorgueillir de ma parfaite maîtrise de moi.

Elle. La directrice de la célèbre EPEE (Ecole pour Espionnes Erudites). Maman.

 

Confortablement attablée, dos à l’entrée (afin de bien lui faire comprendre que je ne guettais pas du tout son arrivée), je me laissais peu à peu envahir par l’ambiance apaisante de l’endroit. Quel bonheur, le bruit de l’océan, les cris des oiseaux, les bulles des poissons, le calme et la gentillesse du patron qui se déplaçait sans faire de vagues entre les tables ralentissant le temps  pour mieux le savourer (pas trop, quand même).

Tout cela semblait n’avoir été créé rien que pour moi, espionne internationale obligée de patienter sereinement alors que ma directrice de mère venait probablement juste de fixer son 11 mm à son porte-jarretelles au lieu d’être en train de garer son insolent biplace sans mettre la ville à l’arrêt.

 

L’estran. Quel nom merveilleux. L’espace de littoral compris entre la haute mère et la basse mère.

 

Ah, la voilà. La petite brise m’apporte les effluves de Chanel numéro 5. La petite bise aussi. Ben c’est ma mère, après tout, nous ne sommes pas en service, auquel cas, elle m’aurait serré la main, le regard froid et impénétrable.

 

Elle sourit, contente de mon choix, heureuse du climat maritime, de la blancheur des murs et de mon attitude aimable (pourquoi lui en voudrais-je, pour une si petite heure d’attente ?).

 

Je commande rapidement (enfin). Du poisson. Poisson des Seychelles.

Le paradis.

Et déjà, comme deux gamines enfuies du pensionnat, nous rigolons de nos aventures victorieuses dans l’océan Indien.

 

J’avais tout juste 25 ans. Je venais de terminer haut la main de brillantes études de médecine, entreprises concomitamment à mon écolage secret au sein de l’EPEE  et l’on allait me confier ma première mission.

Réunir les preuves de l’infamie de l’agent Dauze, soupçonné d’être double.

C’est avec fébrilité que je bouclai mes valises, emportant dans les quadruples fonds tout le matériel nécessaire à la réussite. Ma parfaite connaissance de l’anatomie humaine me permit de dissimuler les pièces les plus précieuses de mon arsenal en lieu sûr.

Ce qui au bout du compte s’avéra décisif, le suspect ayant été finalement confondu et pris littéralement dans mes filets au terme d’une interminable poursuite sous-marine en apnée, durant laquelle je remerciai le ciel d’avoir tout sous la main.

 

Ah, que de souvenirs.

Nous avons continué à les évoquer en pensée, immergées dans les saveurs d’un millefeuille glacé d’espadon au citron vert.

 

Bien sûr, par la suite, il fallut parler d’elle.

Elle, qui m’avait sauvé des griffes du terrible Jo Rétapo, en attrapant de justesse mon poignet droit, suspendue à la roue arrière de son ULM, avant que ma Yamaha ne percute le rocher.

 

Je lui rappelle gentiment qu’elle n’avait pas à quitter l’école avant la sonnerie et que j’aurais bien pu me débrouiller toute seule.

 

Et au fil des nos petites montées d’adrénaline, les plats se succèdent, plus surprenants les uns et les autres. A en redemander pour faire durer le plaisir.

 

Mais à chacun suffit sa peine et le monsieur-ici en salle et l’autre monsieur-là en cuisine voudraient souffler un peu avant de reprendre les hostilités du soir.

 

Sous le charme de cet excellent repas clôturé par une addition assez légère, nous décidons de faire la course juste qu’à la maison, bolide Suédois contre bombe Anglaise, histoire de faire un peu frémir le peuple.

 

 

Bons baisers de partout.

 

 

Agent 53

 

 

L’Estran

22 rue du Collège, 1050 Bruxelles

Tél : 02 513 57 08

 

 

 

 

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Episode 4 : « Slurp »

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Slurp

Ce soir, on fait la fête.

Une opération d’envergure internationale, que dis-je interplanétaire, vient d’être menée à bien. Grâce, et ce serait de la fausse modestie que de ne pas le dire, à l’adorable, l’incroyable, la brillantissime agent 53. Qui, la tête auréolée de succès, éclipse même, par son éclat, sa supérieure hermétique, la cruelle Ana Mirena.

Le Falloscope dont les plans ont été récupérés au prix de nombreux efforts (pour ne pas dire d’âmes) vient d’être assemblé dans notre laboratoire secret de Corinne-la-grosse par le professeur Corpus Lutéus.

 

C’est l’esprit et le cœur légers que nous fîmes une entrée remarquée chez Slurp. Un bellâtre prétentieux nous fusilla du regard (à chacun ses armes) du fond de la salle avant de reporter son attention sur son auditoire. A en juger par la bouteille qu’il tenait en main et le nombre de verres qui s’étalaient devant ses élèves, il devait donner un cours de mathématiques.

 

Slurp. Le nom évoquait bien des souvenirs chez les anciens du service. En effet, jadis le réseau secret courant sous le centre ville possédait une issue dans la cave datant du 16e siècle. Seul, l’agent Millesoupirs se souvient de ce temps béni, où les micros avaient la taille d’un cendrier et les capsules de cyanure celle d’une boule de Berlin. Ce qui était certes moins commode à avaler. Discrètement. Quant à son rangement pré-mortem, il ne pouvait se prévoir dans une dent creuse mais bien dans le caleçon voire entre les deux seins. Ce qui lui donnait mauvaise presse.

 

Séduits par les souvenirs de notre vétéran, l’atmosphère sobre des lieux et la lumière de cette fin de journée d’été jouant sur les lignes pures des tables et des murs en béton, nous ne résistâmes pas à l’envie de visiter cette belle cave classée, et top secret.

 

Tous étaient présents. La fière Mirena en pantalon et veste gris, Thérèse Campette en chignon et talons plats, Henriette Dumans vêtue, les affreuses sœurs Michemolle en tailleur pied-de-poulpe, le major Depris en jeans troués, l’adjudant Tellière en nuisette, l’agent Millesoupirs transpirant dans son costume en peau d’ours et enfin, notre bien-aimé, le colonel Arturo Vidol, triple médaillé 69 de pelote basque, roulette russe et trampoline.

En ce qui me concerne, j’avais opté pour la sobriété, un rien de maquillage et ma petite robe noire en vinyl.

 

Afin d’éviter tout imper (nous ne sommes pas de vulgaires détectives), le colonel himself, plaça ses troupes ailées de part et d’autre de la grande table de bois.

 

Le gentil jeune homme qui nous avait accueillis semblait encore abasourdi par les révélations entendues au sous-sol (qu’importe, Tellière, qui ne fait pas dans la dentelle, lui administrera tout à l'heure un suppositoire amnésique).

Une fois, remis de ses émotions, cette collaborante personne nous guida avec compétence, et commissure pour les sœurs Michemolle qui avaient oublié leurs lorgnons, à travers la magnifique carte des vins. Nous la lui laissâmes blanche pour nous concentrer sur celle plus restreinte des mets.

Une crème de châtaignes pour commencer, comment mieux plaire aux dur(e)s en gilet pare-balles, ou peau d’ours pour certains, que nous étions.

Mais 400 vins, quel bonheur, comme les 400 coups, comme les 400 degrés de latitude Sud de notre camp retronché, comme les 400 touches de notre portable super hystérique, comme les 400 balles que venait de cracher mon AK-47 sur le hors-bord du Gringo, filant à toute allure sur le canal en direction de Cureghem une nuit de pleine lune.

 

Nous partageâmes ensuite en riant d’excellentes charcuteries et une variété alléchante de fromages, de quoi me faire oublier l’envoi postal de l’autre jour.

 

Le soleil brillait ainsi que l’œil vitreux des Michemolle qui en devenaient presque normales et le Millesoupirs après avoir déboutonné le haut de son extravagante tenue se laissa aller à quelques considérations grivoises sur mémère.

 

Mais n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, même celle des Wagons-Lits et déjà la ganache (la plus haut gradé de l’assistance) aux épices achevait de fondre avec délice sur notre langue avec un goût de fin de soirée.

 

Une fois, le prévenant garçon reculotté et dûment assis derrière son comptoir de marbre, nous quittâmes solennellement les lieux non sans jurer de conseiller, fiscal, l’endroit à tous les espions du monde.

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

Slurp

Place de la Vieille Halle aux Blés, 31

1000 Bruxelles

Tél : 02 512 18 31

 

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Episode 3 : « La Poste »

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La Poste

 

Je sais, elle aurait pu m’envoyer à la gare et déjà j’aurais eu beaucoup de mal à le supporter mais à la poste, c’était se gausser de mon incompétence.

Tout en conduisant d’une main mon bolide suédois, je pianotais distraitement sur les touches de mon GPS à commande vocale et passais un index nerveux sur la cicatrice thoracique droite que m’avait laissé le dernier affrontement avec l’affreux Hans Lègel, l’espion venu de Pointe-à-Pitre.

La capote baissée pour cause de tape-à-l’œil que je ne m’autorise qu’une fois par semaine (c’est bien assez, comme me le confiait l’agent Millesoupirs, un vieux de la vieille, ainsi surnommé en raison de son estomac capricieux) afin de limiter tout risque de mélanome des avant-bras, je ruminais de sombres pensées.

Mon contact serait-il la postière, avenante moustachue planquée derrière son guichet pare-balles ou un client en train de gratter un subito dans un coin de la pièce sentant la soupe froide ?

Que nenni, il ne s’agissait pas du merveilleux établissement à la cornemuse mais bien d’une brasserie sise chaussée de Waterloo.

 

L’appétit aiguisé, je m’apprêtais à franchir l’huis quand mon attention fut attirée par un petit chien sur le trottoir. Banal de prime bord mais mon œil expert repéra bien vite, de part et d’autre de sa queue, les antennes en Polyuréthane de Limoges mâché qui devaient être à coup sûr une webcam astucieusement dissimulée.

L’essence en alerte, j’entrai.

 

La décoration était sympathique sans ostentation, pas de présentoirs de post-packs, des tons mats, quelques miroirs, sans tain assurément, des murs en béton, armé plus que probablement.

 

Je n’attendais personne en particulier, le message codé reçu par nos Services mentionnait juste la réception du Paquet entre midi et demi et douze heures trente. Nous y étions.

 

Une jeune et jolie personne souriante me conduisit à ma table. Je ne manquai pas de remarquer le clin d’œil que lui adressa le patron qui ne tarda pas à me rejoindre pour me conseiller, municipal comme de coutume, les pâtes au jambon et au fromage de Chimay.

 

Mes facultés de réflexion tournaient à plein régime protéiné et ma déception fut grande quand je ne trouvai aucun objet dans ma serviette, pas plus que sous la nappe. Rien non plus dans le carpaccio servi en entrée, juste un manque de tout qui demande une sacrée dose de bonne volonté pour aller jusqu’au bout.

 

Le fromage de Chimay me trottait dans la tête. Dans le petit monde de Don Camillo et de l’espionnage, l’on sait que la mise à la trappe est un supplice inhumain et la simple évocation de ce plat me faisait des frissons dans le dos. Mes inquiétudes allaient bientôt être dissipées.

 

Le plat. A l’attaque. De la tranche de Chimay à peine fondante délicatement (faut le croire) posée sur des pâtes fusionnées. Du jamais vu !

Cela devrait être mou, collant, bref pas ce truc dur qui résiste sous la dent. Suis-je bête (non), le voilà le Paquet ! Habillement dissimulés dans un étui en peau d’orange résistante à la chaleur et la corrosion par le lactose, dans son enrobage fromager odorant, se trouvent les plans microfilmés du FCN (Falloscope Comprimé Nucléaire) et moi, femme heureuse entre toutes, je les ai sur le bout de la langue.

 

Au bord de l’extase et du haut-le-coeur, je réglai et remerciai ces gens qui ont eu le mérite de me faire goûter à leurs accords secrets mais certes pas gastronomiques. De ce point de vue, j’eusse préféré aller à la gare.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

La Poste

550, chaussée de Waterloo

1050 Bruxelles

Tél :02 343 10 06

 

 

 

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Episode 2 : « Les Armes de Bruxelles »

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Les Armes de Bruxelles

 

Le soleil n’était pas au rendez-vous. La chance non plus. Je venais juste de me matérialiser à côté du «  gisant «, sortie secrète de notre passage secret qui court sous le centre ville.  J’avais bien  envie d’écarter la masse des touristes d’une rafale de  Double Eagle  mais comme je sais me tenir je n’en fis rien et poursuivis mon errance sur les pavés humides de la grand-place.

 

Oui, j’aurais pas dû. J’ai voulu faire la maligne et gagner sur les deux tableaux mais je me suis plantée magistralement et maintenant dieu seul sait où sont les plans du  Falloscope Comprimé Nucléaire.

 

Ne pas se laisser aller. Répondre à ses instincts primaires de chasseuse. D’abord se sustenter. On y verra plus clair après.

Les Armes de Bruxelles, un classique qui ne déçoit jamais et où je peux garder la mienne dans mon petit sac Gucci sans crainte. Sa façade classée me rappelle que jusqu’à présent et malgré mes récentes mésaventures, je demeure une espionne de classe internationale (au risque de rétrograder en classe C4, mais je n’ai pas dit mon dernier mot). Je me surprends à rêver de ce quartier de l’îlot sacré où ma grand-mère tenait en respect et à la pointe du couteau les truands de la pire espèce.

 

« Bonjour, mademoiselle Hilde (ici, ils ne me connaissent que sous un de mes pseudos), resplendissante comme d’habitude (tu parles, si tu savais les insultes que cette vipère de Ana Mirena m’a lancées à la tête, tu te tairais), votre table habituelle ? »

 

Non, cette fois, je vais opter pour une petite table isolée du Bodega, histoire de ne pas me laisser aller au spectacle des badauds en ribaude. La grande salle, ses tables disposées régulièrement, ses nappes blanches impeccables, tout ce charme d’antan me laissent à cet instant un peu indifférente. Comment ai-je pu croire que l’adjudant Dinement pourrait me semer dans les ruelles de Forges-les-Os malgré sa boiterie ? J’étais à deux doigts (et c’est peu dire) de réussir si cette canaille ne m’avait prise de vitesse pour embarquer in extremis à bord de « La Vigoureuse » battant pavillon de banlieue.

 

Le sourire aimable et empreint de sympathie pour toutes mes misères du serveur (entre professionnels, on se comprend) me font un peu quitter toutes ces réflexions déprimantes. « Je vous fais confiance, cher ami. Bien que vous la voyiez, je n’ai pas toute ma tête aujourd’hui. »

Comment font-ils pour rester toujours aussi accueillants et attentionnés au souhait du client ? Dire qu’ils en voient défiler ici, des Japonais en mal de photos, des Russes en mal de dentelles, des rustres en mal de bonnes manières mais ils les traitent toujours avec la même courtoisie qu’il s’agisse d’une adorable et irrésistible agent secrète ou d’un vulgaire agent de change.

 

Peu à peu, une heureuse torpeur mêlée à un sentiment rageur de revanche m’envahit.

Les bienfaits de ce délicieux turbot sauce mousseline et de ses pommes de terre nature opèrent leur magie sur mon petit corps meurtri et mes neurones ragaillardis par cet excellent poisson, cuit juste comme je l’aime, ni trop ni trop peu, mettent le doigt (même deux) sur la solution.

Dès après mon café (et même deux, comment résister ?), j’irai trouver la belle Ana et elle usera de toute son impitoyable influence de chef erratique pour me fournir les moyens nécessaires à la victoire.

 

Ah, par Saint Ratatata, patron des pistoleros, la vie est belle et demain sera le jour de mon triomphe et c’est avec un sourire éclatant découvrant mes quarante-quatre légendaires dents que je remercie le ciel et les Armes de B. d’avoir pu me redonner vie en deux coups de cuillers à mille saveurs.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

 

Les Armes de Bruxelles

Rue des bouchers, 13

1000 Bruxelles

Tél : 02 511 55 98

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Episode 1 : « Wataro »

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Wataro 

Le rendez-vous était d'importance et ma supérieure héraldique, l’impitoyable Ana Mirena m'avait enjointe à la plus grande discrétion. 

Ce midi, je rencontrais Axo ( alias Ach, so ! )et Mademoiselle Thérèse Campette, notre fidèle secrétaire avait réservé une table dans un Japonais, afin que j'y retrouve l'Italo-Allemand sans éveiller les soupçons.  Munie de mon GPS dernier cri, fonctionnant sur batteries d'uranium ou à défaut avec une goutte de gasoil, mais ne disposant encore que de la traduction créole, je m'acheminai sur la chaussée de Bruxelles que j'empruntai, à la seconde reprise, dans le bon sens.

Pour l'occasion, j'avais revêtu une jupe assez simple dans les tons vert pistache ainsi que le petit chemisier à fleurs qui m'avait fait craquer lors de ma dernière mission à Oulan Bator. 

La partie adverse était en retard. Triste aveu d’infériorité.Qu'à cela ne tienne, je mis ce temps à profit pour observer les lieux. Le cadre était simple et très lumineux. L’allure minimaliste de la pièce avec ses tables en bois blanc était rehaussée par un comptoir qui semblait taillé par de fiers et robustes bûcherons nippons dans la masse-même de l'arbre et qui me servirait à coup sûr de protection si les choses tournaient mal. Je déplorais cependant que les murs, couleur vert Wasabi ne soient pas assortis à ma petite jupe estivale. 

Ach ( c'est toujours avec une déconcertante facilité que je me mets au diapason de l'interlocuteur ), voilà Axo qui paraît. Un peu énervé …Heureusement, l'accueil extrêmement sympathique qui nous est fait efface le rictus pointant sous sa moustache. Un moment, j'ai cependant craint que pendant l'explication sur le maniement des pinceaux, il ne sorte son Mauser, ou pire le nunchaku qu'il porte toujours autour du ku ( pardon, je m'emmêle parfois un peu les baguettes ) mais les sourires du Soleil Levant ont eu raison de son regard d'acier trompé. 

C'est finalement, en toute quiétude que nous avons partagé une très bonne cuisine japonaise : un peu de Sushi – les microfilms sont en sécurité – un rien de Sashimi – les Croates ne sont pas sur l'affaire – potage aux nouilles et au porc pané – on l'a échappé belle – poisson cru et riz vinaigré – d'ici trois semaines, nos troupes quitteront le territoire.Afin de garder les idées claires, la tête froide et l'Eglise au milieu du visage, nous n'avons pas pris de vin ( ce que je juge d'ailleurs fort judicieux, la finesse des mets ne saurait que souffrir de la puissance de ce breuvage ). La carte, astucieusement réduite, ne proposant que quelques bouteilles pour plaire aux irréductibles. 

Ma foi, ce fut un bien agréable repas, tout en saveurs et en respect du protocole ainsi que du budget serré des Services Secrets ( un lunch, entrée, plat pour 12 Euros ) et bigre, pour le commun des mortels, surfant en toute innocence sur la vague des choses futiles et bon enfant, cet endroit est à conseiller, municipal bien sûr. 

Bons baisers de partout. 

Agent 53

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Goût des Belges 2

Le goût des Belges 2

Les aventures d’Eric Boschman et Nathalie Derny continuent en terre de connaissance, au pays des baulus, du poulet rôti, de la tête pressée, de la tarte brésilienne ou encore de la grenadine, parmi bien d’autres délices.

 

Au cours d’une longue et périlleuse chasse aux saveurs, rebondissant de Flandre en Wallonie, de ville en village, de souvenirs en réflexions, ils ont fini par ranger mitraillette et pistolet, ne gardant en poche qu’un morceau de dynamite car, au fond, les bêtes et méchants ne sont jamais armés que d’un peu d’aspartame et de beaucoup d’étroitesse d’esprit.

 

Quant aux gentils rencontrés tout au long de leur périple, ils communiquent et s’invitent, trinquent et rient, parlent fort puis chuchotent, rêvent et dansent et surtout partagent un goût de la vie et des plaisirs de cette vie que l’on peut définitivement appeler le « Goût des Belges ».

 

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Mission à Kabgayi

 

 

Mission à Kabgayi, Rwanda

Ca fait maintenant quelques jours que j’ai terminé le dernier ananas ramené de là-bas… Les papayes, les maracujas et les petites bananes n’ont pas tenu aussi longtemps.

Déjà, un parfum de nostalgie.

L’impression que l’odeur flotte encore autour de moi. On ne m’avait pas dit que l’Afrique, c’était dangereux à ce point. Je savais pour les virus, les rétrovirus, les moustiques, les anophèles, les fièvres de tout poil mais je ne savais pas à quel point je serais contaminée.

L’odeur. Elle est là, dès la descente de l’avion. En soirée, il ne fait pas chaud au Rwanda et pourtant, l’air sent la chaleur, le soleil qui sèche la terre et la fait mousser dans la lueur faible des lampes. Nous marchons sur un tarmac chichement éclairé et je ne vois pas le regard des gens qui m’entourent. Ils sont, pour la plupart, d’ici et leurs yeux brillent sûrement autant que les miens. Eux, d’impatience de rentrer à la maison. Moi, d’émerveillement et d’excitation.

L’odeur, elle est là dans l’ambulance qui nous conduit de Kigali à Kabgayi. Elle est dans les accolades de bienvenue, elle est dans les arachides que l’on nous offre, elle est dans les faubourgs de la capitale puis dans ces collines que nous devinons à peine. Il fait noir, la route serpente, le véhicule qui cahote et les conversations enthousiastes des infirmières et du médecin nous font un peu tourner la tête. Marleen et Christiane, l’accoucheuse et l’infirmière pédiatrique qui m’accompagnent, ont déjà travaillé en Afrique. Pour moi, tout est nouveau. Je me sens comme un gosse qui attend dans la file vers le trône de saint Nicolas et pourtant, c’est moi qu’ils appellent docteur Nathalie. Muganga Nathalie.

A partir de là, tout va très vite … Très vite car j’accélère le pas, à chaque instant. Peut-être pour ne pas louper une minute de ces quinze jours de mon temps que je viens leur donner. Certainement pour ne pas louper une seule goutte de la richesse qu’ils vont m’apporter.

Le docteur Alphonse est le médecin de la maternité. Ici, les noms de famille n’existent que sur les papiers, dans la vraie vie, seuls les prénoms comptent. Il n’y a que des prénoms de chez nous. Je travaille avec les sourires de Priscilla, Ludivine, Julienne, Anastasie, Renata, Célestin, Eugène, Virginie, Jean-Bosco, Jean-Paul … Ici, les Jean-Paul sont légion, en l’honneur de Jean-Paul II qui un jour vint élever la cathédrale de Kabgayi au rang de basilique. Le Rwanda fut et reste l’affaire de l’Eglise. La messe et le calendrier chrétien font autant partie du quotidien que le manioc et les chèvres. Le 27 juillet est le jour de la Sainte Nathalie. Je ne me souviens pas que l’on m’ait souhaité une seule autre fois bonne fête … 

A l’hôpital, les médecins sont peu nombreux, très peu nombreux, au nombre faramineux de 7 pour plus ou moins 400 lits. Le rôle de garde est général et de nuit, tous sont amenés à pratiquer des césariennes ou à s’occuper de cas généraux urgents. C’est dire l’étendue du travail.

Et pourtant parmi eux, aucun spécialiste. Le docteur Alphonse travaille depuis plus de dix ans à la maternité. Avant cela, il était responsable du centre de transfusions à Kigali. Entre les deux, il s’est caché pendant 7 mois dans les forêts à la frontière congolaise. C’était en 1994. Cela vous dit quelque chose ? Ici, on ne dit pas le génocide, on parle des évènements ou de la guerre. Tout le monde en a souffert. Il n’y a plus une famille complète. Alphonse y a perdu ses fils et sa femme. Julienne, Clarisse, leur mari. Les plus jeunes, leurs parents. La douleur fut partout et fut immense. Les Rwandais n’ont pas oublié l’horreur. Le gouvernement non plus. Chaque jeudi, des réunions sont organisées dans les districts. Mélange de délation, de culte du souvenir et de la vérité pour trouver encore et encore des responsables, des coupables, d’autres personnes  pour remplir un peu plus ces prisons qui débordent.

Mais reprenons le fil médical de nos pensées. A vrai dire, tout est tellement intriqué que l’on fait bien souvent des nœuds. Et les nœuds ici, il vaut mieux les faire au porte-aiguille car chaque centimètre de catgut vaut son pesant d’or. Donc pour reprendre le fil, autant commencer par le commencement …

Pourquoi partir donner un coup de main aux Rwandais ? Pour ma part, c’était une sorte de rêve. Rêve qui a dépassé toutes mes espérances. Je me souviens du poster de MSF accroché dans mon kot. Vous voyez, ce dessin du globe terrestre avec un gros pansement sur l’Afrique. Eh oui, tout n’est pas rose là-bas, loin s’en faut. Comme je l’ai dit, le personnel est peu nombreux. A la mi-juillet, les salaires de juin n’avaient toujours pas été versés et ceci expliquant cela, il ne faut pas grand-chose pour qu’un docteur préfère s’exiler de l’autre côté des collines où l’herbe lui semble plus verte.

La pauvreté est terrible. Disons même la misère. Certes, il n’y a pas de famine car le sol est riche et le climat merveilleux. La grosse majorité des 8 millions de Rwandais sont de petits cultivateurs. Petite maison de briques, 2 ou 3 pièces sur une colline, quelques bananiers, des légumes, une chèvre, une vache pour les plus riches mais ni eau courante, ni électricité. Les plus nantis habitent la ville où l’eau et le courant sont présents. Enfin, à certains moments de la journée. Depuis deux ans, après 20 heures, l’électricité n’est plus fournie. A l’hôpital, en journée, il faut bien souvent recourir au moteur. Moteur à essence garantissant une ambiance délicatement parfumée avec fond sonore discret. Mais quel bonheur de pouvoir toujours utiliser le bistouri électrique, de ne pas coiffer la lampe frontale à piles, d’avoir une sonde d’aspiration ou un échographe qui fonctionne …

Les journées passent, se ressemblent et ne se ressemblent pas. Le soleil est toujours là, la poussière vole sous nos pas sur la route de l’hôpital, nous croisons tous les matins, des femmes transportant leur dernier né sur le dos, des victuailles sur la tête et accompagnées d’une ou l’autre fillette elle-même ceinte d’un autre enfant de la famille. Sur la route principale allant de Gitarama à Butare, les vélos déboulent à grande vitesse dans les descentes. Dans les montées, ils sont poussés et servent au transport des sacs de patates douces, des régimes de bananes ou du bois pour le feu.

L’hôpital est de plain-pied, pas question d’ascenseur dans un pays où l’électricité est denrée rare. La maternité, tout en longueur, est constituée de vastes salles communes d’hospitalisation, d’ailes pour les gardes-malades, de quatre salles d’accouchement séparées par des rideaux. Les gardes-malades sont un des piliers de l’hospitalisation. Ils veillent aux repas et à la toilette des hospitalisés. Seuls les soins médicaux sont prodigués par le personnel.

Je supervise le bloc d’accouchement, m’occupant des dystocies, appliquant des forceps, pratiquant des césariennes. L’hôpital sert de référence à 24 centres de santé situés pour certains à plus d’un jour de marche. J’enlève des fibromes d’un volume comme on en voit plus chez nous, des tumeurs ovariennes, un dermoïde de 3 kilos. Je réalise des salpingoplasties par tomie comme au bon vieux temps, car ici dans ce pays à la démographie galopante et au taux élevé de décès néonatal et infantile, la stérilité vous garantit l’exclusion sociale mieux que toute autre tare. Le travail ne manque pas et les remerciements émus valent plus que n’importe quel autre salaire. J’ai bien sûr perdu des bébés, une mère dénutrie et arrivée à l’hôpital à un degré de pathologie ingérable là-bas mais dans l’ensemble, j’admire le dévouement de l’ensemble des soignants dans un environnement où une radiographie, un hémato ou une ampoule d’ocytocine représente la moitié d’un mois de travail.

L’espace manque pour vous raconter ici toutes les sensations qui m’ont habitée pendant ces quinze jours merveilleux mais j’espère que ces quelques lignes vous ont peut-être donné l’envie de participer vous aussi, que vous en ayez un jour rêvé ou pas, à ce type d’expérience. Quant à moi, je leur ai dit « murabeho » et le plus vite possible, ce qui en Kinyarwanda signifie tout simplement « au revoir ».

Médecins sans Vacances: www.msv.be

Docteur Nathalie Derny

Gynécologue

Clinique Ste Anne-St Remi

Bruxelles

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Fiche signalétique de Nathalie Derny

Née le 8 juin 19XX – 1,76 mètre – 65 kilos à vide – 66 kilos en charge de bloc d'accouchement – 67 kilos équipée pour l'équitation – 1 mètre de cheveux blonds cendrés – 90 B – taille 40 en général (des armées d’Absurdie).

Sujette à de belles crises de logorrhée régulièrement entrecoupées de fous rires irrépressibles.

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