Episode 7 : « Le Jardin de Catherine »

Image Active

Le jardin de Catherine


Cette fois, ça y est, je suis sûre que je vais y laisser ma peau.

Non, si jeune, c’est trop bête et pourtant, je n’ose hurler un cri de protestation de peur de déranger cette jeune personne qui, en suspension sur sa Honda, les épaules bien en arrière (et à n’en pas douter, les talons descendus), se démène dans la circulation de la capitale comme sur un parcours d’obstacles de 1m80.

 

Normalement, mais plus rien n’est normal chez nous depuis que le Falloscope nous a échappé, c’était Millesoupirs qui devait me cueillir à l’aéroport pour me conduire au centre ville.

Millesoupirs et non pas sa petite-fille !

La naine devait avoir moins de 13 ans et sous prétexte que son ours de grand-père avait dû être taximan dans une autre vie, elle conduisait depuis le berceau les engins les plus insensés.

Quelque part, si j’avais conservé la foi, j’aurais pu bénir le ciel qu’elle ne soit venue me chercher en rollers nucléaires en me jetant, avec un air de mépris suprême pour la lueur d’affolement dans mes yeux, un parachute ascensionnel.

 

Mourir pour des idées, d’accord mais de mort lente.

D’abord, si j’avais eu le choix, j’aurais eu l’idée ne pas descendre de l’avion, ensuite, à la vitesse de 145 kms/heure sur le boulevard Botanique, la mort ne sait être lente.

 

Le teint cireux, l’œil vitreux, le mollet miteux, je risque un pied hasardeux sur les pavés de la place Sainte-Catherine. J’en ai vécu des aventures, tant et tant que je pourrais les écrire et les envoyer en feuilleton électronique à des hordes d’admirateurs, mais jamais je n’avais remis ma vie entre les mains d’une gamine pré-pubère, insolente et pesant 40 kgs toute mouillée.

«  C’était chouette, hein ? Moi, plus tard, je ferai Forces d’Interventions Spéciales. »

Tant qu’à faire … On épaississait ses biberons au cassoulet pour qu’elle laisse dormir ses parents et dans ses veines coulait le feu de Dieu. Donc le G.I.G.N., Gang Imaginaire des Gamines Niaises ne pouvait que lui convenir. J’en convins.

 

Lui remettant le casque pastel orné de Barbie et de son ami en ballade sur des poneys roses, je défroisse d’un geste nonchalant ma robe en soie sauvage et mon orgueil en soi sauvé et c’est du pas décidé de Neil Amstrong en juin 69, année herpétique, que je traverse la salle du Jardin de Catherine pour me rendre dans son jardin, à Catherine.

 

Où m’attendent en toute simplicité un Millesoupirs, à qui j’ai envie de défriser la tête et le major Depris, tous deux déjà fort pris par la bouteille de Chardonnay de Somontano flottant vide dans le seau.

 

Joli jardin, le seul du quartier, vigne en pergola dont les raisins ont pu résister à la canicule de ce mois d’août mais pas aux doigts crochus de la pygmée que je traîne dans mon sillage comme une malédiction. De gentilles petites tables, en plastique pour protéger la forêt amazonienne, encadrent les vasques de fleurs.

Le tableau serait touchant si les deux individus hilares n’en faisaient partie.

 

D’une humeur orageuse, dont je suis fort peu coutumière, je tends une main molle à Depris et une joue évanescente au vieux en lui collant mon poing gauche, le pire, dans le plexus solaire.

 

On commande. On n’est pas là pour rire. Ni pour travailler. La Mirena est en voyage et ce n’est que demain que je lui ferai le rapport de mon escapade à Firenze, pour autant que ce ne soit pas la demi-portion qui aille la chercher à l’aéroport.

 

Menu à 40.

Nous dérapons d’entrée de jeu sur un carpaccio de Saint-Jacques lipido-saturé sans qu’une pointe vinaigrée ne vienne nous relever de notre glissade infernale. L’huile d’olive a au moins le mérite de faire blinquer l’appareil dentaire rutilant de la représentante du G.I.G.N.

Devant la mine contrite de Millesoupirs, j’éclate enfin de rire en repensant à mon trajet jusqu’ici.

 

Le demi-homard en belle-vue, par contre, a tout ce qu’il faut où il faut et on peut jouer en toute innocence à pince-mi et pince-moi (quoique pour le plantigrade ce soit plutôt mince-mi et mince-moi) sont sur un bateau.

Depris, en flagrant délit de vantardise, nous mine l’assaut d’un bunker à l’aide des trois carapaces disposées en carré sur la ligne bleue des Vosges et d’une aiguille à tricoter sortie de sa botte.

 

Le vieil ours soupire d’aise, la majorette s’esclaffe à la vue du major qui a planté les antennes du homard dans ses sourcils et imite Maya l’abeille, et le bar Victoria, à qui on avait rien demandé, a vite fait de se faire oublier au fond de nos petits ventres tendus.

 

Ah, finalement, on est bien à cette table au soleil à se faire des moustaches de chocolat chaud à la dame blanche et je me prends à espérer que demain, ce soit la petite qui ramène notre adorée supérieure prosaïque de l’aéroport et que cachés derrière un guichet, on se marre de sa tête offusquée quand elle lui tendra le casque Barbie.

 

Bons baisers de partout.

 

 

Agent 53

 

 

 

Le jardin de Catherine

Place Sainte-Catherine, 5-7

1000 Bruxelles

Tél : 02 513 19 92

 

 

 

 

 

 

 

Ce contenu a été publié dans Agent 53. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.