La Poste
Je sais, elle aurait pu m’envoyer à la gare et déjà j’aurais eu beaucoup de mal à le supporter mais à la poste, c’était se gausser de mon incompétence.
Tout en conduisant d’une main mon bolide suédois, je pianotais distraitement sur les touches de mon GPS à commande vocale et passais un index nerveux sur la cicatrice thoracique droite que m’avait laissé le dernier affrontement avec l’affreux Hans Lègel, l’espion venu de Pointe-à-Pitre.
La capote baissée pour cause de tape-à-l’œil que je ne m’autorise qu’une fois par semaine (c’est bien assez, comme me le confiait l’agent Millesoupirs, un vieux de la vieille, ainsi surnommé en raison de son estomac capricieux) afin de limiter tout risque de mélanome des avant-bras, je ruminais de sombres pensées.
Mon contact serait-il la postière, avenante moustachue planquée derrière son guichet pare-balles ou un client en train de gratter un subito dans un coin de la pièce sentant la soupe froide ?
Que nenni, il ne s’agissait pas du merveilleux établissement à la cornemuse mais bien d’une brasserie sise chaussée de Waterloo.
L’appétit aiguisé, je m’apprêtais à franchir l’huis quand mon attention fut attirée par un petit chien sur le trottoir. Banal de prime bord mais mon œil expert repéra bien vite, de part et d’autre de sa queue, les antennes en Polyuréthane de Limoges mâché qui devaient être à coup sûr une webcam astucieusement dissimulée.
L’essence en alerte, j’entrai.
La décoration était sympathique sans ostentation, pas de présentoirs de post-packs, des tons mats, quelques miroirs, sans tain assurément, des murs en béton, armé plus que probablement.
Je n’attendais personne en particulier, le message codé reçu par nos Services mentionnait juste la réception du Paquet entre midi et demi et douze heures trente. Nous y étions.
Une jeune et jolie personne souriante me conduisit à ma table. Je ne manquai pas de remarquer le clin d’œil que lui adressa le patron qui ne tarda pas à me rejoindre pour me conseiller, municipal comme de coutume, les pâtes au jambon et au fromage de Chimay.
Mes facultés de réflexion tournaient à plein régime protéiné et ma déception fut grande quand je ne trouvai aucun objet dans ma serviette, pas plus que sous la nappe. Rien non plus dans le carpaccio servi en entrée, juste un manque de tout qui demande une sacrée dose de bonne volonté pour aller jusqu’au bout.
Le fromage de Chimay me trottait dans la tête. Dans le petit monde de Don Camillo et de l’espionnage, l’on sait que la mise à la trappe est un supplice inhumain et la simple évocation de ce plat me faisait des frissons dans le dos. Mes inquiétudes allaient bientôt être dissipées.
Le plat. A l’attaque. De la tranche de Chimay à peine fondante délicatement (faut le croire) posée sur des pâtes fusionnées. Du jamais vu !
Cela devrait être mou, collant, bref pas ce truc dur qui résiste sous la dent. Suis-je bête (non), le voilà le Paquet ! Habillement dissimulés dans un étui en peau d’orange résistante à la chaleur et la corrosion par le lactose, dans son enrobage fromager odorant, se trouvent les plans microfilmés du FCN (Falloscope Comprimé Nucléaire) et moi, femme heureuse entre toutes, je les ai sur le bout de la langue.
Au bord de l’extase et du haut-le-coeur, je réglai et remerciai ces gens qui ont eu le mérite de me faire goûter à leurs accords secrets mais certes pas gastronomiques. De ce point de vue, j’eusse préféré aller à la gare.
Bons baisers de partout.
Agent 53
La Poste
550, chaussée de Waterloo
1050 Bruxelles
Tél :02 343 10 06