Episode 37 : « Eetcafé De Rinck »

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Eetcafé De Rinck

 

« Ma Soeur, vite, un seau, un sac, une urne, une vasque, un réceptacle, ça recommence ! »

 

De nous tous, le major Depris semblait le plus pris. Il faisait peine à voir, livide, la moustache en berne, le pourpoint décoré de vilaines taches. Dans sa blouse d’opéré, il ressemblait plus à la créature des marais qu’à un fier représentant des Services Secrets, les dits services se limitant à la portion grenue car restait juste sur pieds, Arturo Vidol, notre sauveur.

Dans la salle commune, ceux qui avaient encore la force de parler, évoquaient l’attentat, les autres qui n’en avaient plus la force, criaient à l’hécatombe se souvenant des regrettées Michemolle, les derniers enfin tentaient le repos, la tête enfouie sous l’oreiller, dans la position de l’agonie.

 

Qui aurait pu croire qu’un organe aussi vigoureux que le nôtre puisse être anéanti d’un coup de fourchette masqué ?

 

Nous venions juste d’atterrir d’un vol de Pékin qui s’était déroulé dans la bonne humeur, Millesoupirs ne ménageant pas ses efforts pour faire rire les maîtresses de l’air. Se bridant les yeux à la Michel Leeb, il leur avait fait le coup de l’insecte qui rampe jusqu’à ce que le commandant himself lui ordonne de s’asseoir, de la boucler ainsi que sa ceinture. A notre grand dam car ce n’est pas tous les jours qu’un passager se colle une boule de Geisha dans chaque joue pour trépigner dans l’allée, ventre à terre, en agitant la tête en tous sens. La bête en lui enfin calmée, il avait piqué du nez sur mon épaule, justifiant la ceinture par de violentes turbulences qui auraient pu se montrer fatales si je n’avais glissé entre ses incisives la petite ficelle empêchant les boules d’être propulsées dans le trou du dimanche par ses puissants ronflements.

Il faut dire que notre séjour en Chine, s’était montré particulièrement épuisant. Nous avions été détournés de nos fonctions d’espions au profit de celles de garde du corps défendant par le ministre des Affaires Etranges, en mission pékinoise avec sa secrétaire, pour y rencontrer son homogène asiatique.

Afin de commenter son résultat au dernier test de Poisson de Lune, version chinoise de notre Fille d’Aujourd’hui. C’est du moins ce que fit croire le ronfleur rampant à ses acolytes anonniques.  Que le major Depris, premier prix de Pictionnary et l’adjudant Tellière, lauréat du concours de scoubidou d’Aiseau-Presles, avalent cette vessie, n’avait rien d’incroyable. Le reste de la troupe, n’ayant pas l’habitude de prendre des lanternes pour des couleuvres, n’ignorait pas que l’entrevue avait lieu entre les deux grands hommes et non pas leur point faible.

Nous ignorâmes ce qui se dit en ce sommet hystérique, Arturo Vidol ayant été le seul témoin de la discussion pendant que l’on nous servait un frugal repas en cuisine. Le canard laqué brillait autant que les dents du chef et bien qu’étant succulent, il me semble, après réflexion, qu’il tenait plus du gallinacé rescapé que du vilain petit palmipède. Aller en Chine manger du poulet, en voilà une mission pour les braves !

 

De retour sur le territoire, les choses se compliquèrent. Monsieur le Ministre, distrait par des échanges d’amabilité avec Madame sa Secrétaire, avait remis à nos chauffeurs l’ordre de nous déposer place de la Vaillance. Or, il y a bien longtemps que le passage dérobé de l’Eglise Saint Guidon vers nos bureaux a été comblé par des noyaux de cerises sous la menace d’un éboulement.

Nous fûmes donc place de la Vaillance, un peu perdus et affamés après ces péripéties.

Nous avisâmes la seule enseigne éclairée et nous en franchîmes l’huis, le cœur bondissant d’espoir.

Les tables de bois ressemblaient à s’y méprendre à des tables de bois. Le patron à s’y méprendre à un patron. Et le spaghetti bolognaise à s’y méprendre à un spaghetti bolognaise.

Jusqu’à la première bouchée.

Il est parfois difficile de faire la part des choses mais il est clair qu’une pâte trop cuite a une fâcheuse tendance à se regrouper avec ses congénères, qu’une sauce ratée se verra saturée d’épices pour en changer le goût et que le tout peut parfois prendre des allures de cauchemar.

 

Nous re-fûmes donc place de la Vaillance.

Plus pour longtemps.

Car défaillant les uns après les autres, nous nous allongeâmes sur le pavé sans penser à éviter les fientes de pigeons.

Seul debout au milieu du champ de bataille, le colonel, ayant boudé le repas pour cause d’oesophagite chronique, s’arma de son bras long et de son gsm. Pour nous prendre le pouls d’abord, ensuite pour faire rouvrir la salle commune de l’ancienne Clinique Sainte Anne afin de nous admettre en urgence.

Il dut être beau le balai des deux sœurs en cornette, sorties de leur lit et de leur hospice afin de nous venir en aide, accourrant dans un tintamarre de clés et de compresses vers les valeureux tombés au combat.

 

Nous fûmes donc place de la Vaillance, le temps qu’il fallut.

Soignés et dorlotés par les dévouées religieuses, les joues roses d’avoir repris du service.

Le temps s’écoula doucement, les forces revinrent et nous passâmes des jours heureux blottis dans notre havre.

 

L’ancienne Clinique Sainte Anne se trouve place de la Vaillance, ce eetcafé aussi.

La première a fermé ses portes pour toujours au profit d’une nouvelle aventure.

Le second malheureusement pas encore. Sauvé par le bénéfice d’un doute procuré par un poulet laqué.

Hélas, dans la vie, ce ne sont pas toujours les gentils qui triomphent.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Eetcafé De Rinck,

Place de la Vaillance, 6.

1070 Anderlecht.

Tél 02/521 28 46

 

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Episode 36 : « La Quincaillerie »

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La Quincaillerie

 

Je retournais la carte de visite entre mes doigts graciles en tous sens sans pouvoir trouver un sens à sa présence entre mes doigts graciles.

P. Amourette.

Il devait de toute évidence s’agir d’un nom de code. Quiconque nanti d’un tel patronyme s’en serait défait au profit d’un anodin Castagnette ou Savonnette.

P. Amourette, sévices secrets nationaux.

Voilà qui était pour le moins intrigant.

J’avais trouvé la petite carte en papier glissé, glacée dans la poche poitrine de ma toute nouvelle veste de cuir rouge au terme d’une soirée aussi officielle que pompante, toute en ronds de jambe et courbatures comme je sais si bien les faire.

Il y avait pourtant du beau monde et je ne pensais pas qu’entre les coupes et les petites choses délicates fondant en bouche, une main puisse s’aventurer ainsi sur mon sein en toute impunité.

C’est au retour, au moment précis où dans un bruit silencieux, la capote s’adapta parfaitement à la carrosserie que la puce fut mise à l’oreille de mon odorat professionnellement aiguisé. Une discrète odeur maritime s’échappait du siège passager. Fronçant un sourcil inquiet vers 53bis, affalée sur le cuir et dont j’avais couvert les ronflements par ma veste négligemment jetée sur le visage, je tentai immédiatement de découvrir l’origine de ce qui venait irriter mes poils de nez et faire frémir ma blonde moustache. Innocentant la petite, uniquement parfumé au tahiti avocat et thé vert, j’identifiai le bristol coupable, tapi dans la poche.

P. Amourette, sévices secrets nationaux et expert en jus d’huîtres à ce qu’il sentait !

Je ne disposais que de peu d’informations pour identifier l’individu dont les coordonnées m’avaient été mystérieusement remises. Un relent de marée, une tache jaunâtre et surtout deux fragments d’empreintes digitales.

Pressée d’en savoir plus, je saupoudrai la carte d’un peu de fard à paupière que je fixai d’un coup de spray déodorant avant de sécher le tout sur le radiateur de mon bolide. A peine cinquante-trois secondes après avoir transmis la chose par satellite, les conclusions me parvenaient. Claires et sans équivoque. Il s’agissait d’un fragment des premier et second orteils de la main inférieure gauche d’un homme de moins d’un mètre septante et de plus de nonante kilos, ayant passé les heures précédant le dépôt de l’objet dans ma veste, à jouer avec des huîtres et du champagne Ruinart.

 

C’était plus qu’il ne m’en fallait pour agir et après une nuit réparatrice, je poussai ma curiosité jusqu’au seuil de la Quincaillerie, brasserie détentrice des questions à mes réponses.

 

Il s’agissait d’une magnifique maison conçue par les disciples d’Horta et qui, jusqu’il y a une petite trentaine d’années, contenait dans sa centaine de tiroirs de pin d’Amérique, tous les bibelots justifiant son enseigne. L’endroit ne manquait pas d’allure, depuis l’entrée où l’on progressait entre les boiseries et les cuivres luisants du bar et de l’écailler, jusqu’aux différentes salles, délicieusement rétros dans leur ambiance d’usine passée au Monsieur Propre.

Il était exactement midi cinquante-trois comme en attestait la grande horloge de l’escalier. Je venais de confier, avec quelques palpitations, mon bijou technologique au voiturier et j’emboîtai le pas à un charmant jeune homme dont le sourire éclatant acheva de me décadencer le myocarde.

Si, P. Amourette, sévices secrets, sévissait secrètement en ces lieux, faites qu’il soit lui aussi un frère jumeau de Brad Pitt, histoire d’en faire baver 53bis qui se remettait d’un match de ping-pong forcené.

 

J’empilais consciencieusement les 18 creuses de Normandie à qui je venais de dire ma façon de penser, et en bien, quand une interpellation venue de nulle part ébranla le bel édifice malmené par le cri de surprise que je n’avais pu étouffer.

Chaussé de mocassins lui permettant les déplacements furtifs mais n’autorisant pas le relevé immédiat des empreintes digitales, l’homme jovial qui se tenait devant moi correspondait en tout point à la description détaillée obtenue par l’analyse de la carpe de visite.

Il gloussait en ramassant les reliefs de mon entrée, distillant l’humour à grands coups de bouffonneries tant et si bien que je ne peux m’empêcher d’écarter moi aussi les lèvres jusqu’aux pré-molaires.

 

Je le laissai dévoiler son affaire secrète, le temps d’un poussin rôti à l’estragon frais et d’une glace à la fraise maison dont l’excellente qualité était à même de me distraire d’une logorrhée n’ayant d’égale que la mienne les jours de fête.

 

P. Amourette, sévices secrets, lassé des écailles, des bulles et de l’eureka, s’était mis en tête de reprendre le flambeau à peine refroidi des fidèles Michemolle dont il avait entendu conter l’émouvante inhumation et l’hommage nocturne au saké.

 

Lui certifiant que sa demande serait transmise à mes supérieurs homériques, mais que son restaurant ne serait plus ce qu’il est sans son lutin des forêts de pins d’Amérique, je plaçai quatre doigts dans le creux de sa main et d’une légère pression du pouce lui fis comprendre combien j’avais été ravie par ce repas animé.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

La Quincaillerie

Rue du Page, 45

1050 Bruxelles

Tél : 02 533 98 33 

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Episode 35 : « Le Cap »

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Le Cap

 

Y a des jours avec, y a des jours sans. Et quand je dis sans, c’est sans et non 53 et  je n’espérais pas beaucoup, en franchissant le seuil de cette brasserie à plus de 23 heures du soir, que ça allait, comme par magie, devenir avec.

 

Ce matin, après m’être consciencieusement brossé les dents à sec pour cause d’oubli de dentifrice sur la liste des courses, je n’avais pu mettre la jambe sur une paire de bas dignes de ce nom, les seuls restants en course étant en résille, ce qui ne seyait pas à mes activités de la journée. La mort dans l’âme, je me résolus à enfiler ma panoplie de charme, mon 501, mon 45 et mes santiags, jugeant que tant qu’à faire de ne pas montrer ses mollets, autant avoir l’air sérieux.

Ce fut finalement une bonne chose que mon rendez-vous avec le ministre des Affaires Etranges soit reporté. Evidemment, j’aurais apprécié que l’on me le fasse savoir avant plutôt qu’après une demi-heure d’attente face à une secrétaire débordée par un questionnaire vital. Voyant qu’elle peinait à additionner les points qui feraient peut-être d’elle une « femme libérée » ou « une godiche de trente ans qui se fait des mèches », je vidai sur son bureau le contenu des deux cartouchières qui me croisaient le cœur et l’invitai à se servir des balles en guise de boulier.

Le très sottement de l’interphone, n’ayant d’égal que celui de ses ongles vernis pour retenir les projectiles s’éparpillant sur son magazine, lui sauva la mise en lui donnant la possibilité d’annuler l’entrevue.

 

Je rentrai donc dans mes pénates. Où régnait une fébrile activité. La Fraude quittait les Archives pour prendre possession du local de feu les Michemolle et donc se rapprocher ainsi de ses démons. Et chacun s’extasiait sur les petits trésors que les deux sœurs avaient accumulés au cours de ces longues années de boyaux services. Une montre à gousse d’ail, cadeau d’un soldat prussien, une mèche de cheveu croisée dans leur jeunesse, une vue de Tikritt en 1939, une photo d’elles dans les tranchées de l’Yser, une dent de lait, une dent de peigne, des dents de poule et des semaines des quatre jeudis arrachées au calendrier des postes de 1956, année où elles crurent connaître l’amour.

Tout cela m’écoeurait.

Constatant qu’il ne restait plus le moindre Chokotoff parmi toutes ces merveilles, je m’enfermai dans mon antre, l’écriteau do not masturb en position on, débranchai mon téléphone et mes senseurs infrarouges après avoir veillé à électrifier la poignée de la porte au cas où.

Bien vite la fatigue eut raison de mon légitime énervement, et je n’émergeai qu’au bout de plusieurs secondes de repos mérité, le cou endolori et le menton intiment joint par un épais filet de bave au rapport sur la réapparition de Hans Lègel, l’espion venu de Pointe-à-pitre. La nuit était tombée, le bâtiment désert et mon ventre criait famine à la sortie du rêve, expliquant cette production débridée de salive.

 

Encore un peu hébétée par un fantastique match de ping-pong gagné 11/0 dans le dernier set contre Axo, j’oubliai d’éteindre la poignée de la porte. Ma sieste avait malheureusement été trop courte pour que mes cheveux pris dans une divine averse cet après-midi aient eu le temps de sécher. La décharge eut pour effet de les friser d’une fort belle façon aux dépens d’une crispation des mâchoires dans un sympathique rictus.

 

Je ne pense pas que ce soit une raison suffisante pour expliquer l’accueil reçu dès mon entrée dans le Cap.

Où s’avança vers moi, une femme sévère, à qui je demandai fort gentiment si je pouvais occuper l’une des tables à l’avant de la salle pour me sustenter. Cette personne n’aurait pas dû se trouver là. Elle devait être victime d’une erreur de manipulation sur la commande de son télétransporteur. Sinon comment expliquer l’agressivité de sa réponse ? On ne mangeait qu’à l’arrière. C’était une BRASSERIE-restaurant et devant on buvait !

 

Mes mandibules peu à peu se relâchaient et je tentais de me réconcilier avec la vie. Mais consommer une croquette de crevettes ramollie et sans crevette, comme il se doit dans les jours sans, tient du record olympique quand la transmission nerveuse a encore des ratés.

Mieux valait ne pas insister et garder ses forces vives pour attaquer le bœuf et les frites dont je savais à présent que c’était précisément ce qui me manquait depuis le matin.

Je l’avais souhaité accompagné d’une sauce au poivre et je sentais mes lèvres s’humidifier de plaisir à l’idée de la chose.

Mais adieu veau, vache, cochon, ravalons cette salive et les joies escomptées.

Que la sauce sorte d’un pot sans marque, que le bœuf soit sans goût, que les frites soient sans intérêt ne m’étonnait pas vraiment.

Je ne pouvais me féliciter que d’une chose : avoir résisté à la côte à l’os et à ses trente euros.

Comme c’était un jour sans, elle aurait été sans doute et sans os.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

 

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Episode 34 : « Comme il vous plaira »

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Comme il vous plaira

 

L’heure n’était pas à la fanfaronnade, ni à la parade, tout au plus à la chiffonnade voire à la marmelade.

 

Les insistances supérieures avaient à nous parler. Nous avions été convoqués tous les trois, Millesoupirs, 53 bis et moi-même, par nos supérieurs histaminiques pour répondre de nos frimes devant l’humanité.

Certes, il eût été de bon abois que nous fussions à l’heure, mais nous ne l’étions pas. Au moment d’embarquer la joyeuse compagnie, une peur irraisonnée s’abattit sur mon bras droit. La petite était jeune et la convocation arrivée le matin même l’avait plongée dans les affres de la crainte à tel point qu’elle ne put se soustraire au besoin de ronger les dix ongles qu’elle entretenait avec un soin compulsif depuis sa rencontre avec La Fraude chez qui elle avait remarqué la stimulation intellectuelle provoquée par les égratignures dans le dos.

Ce ne fut qu’après avoir entendu mon discours plein de bon sens et d’exhortation au calme qu’elle reprit ses esprits, Millesoupirs parachevant mon œuvre en la berçant par la version en Wallon de l’Eté Indien pendant qu’elle sirotait un planteur.

 

Tant et si bien que nous comparûmes avec une demi-heure de retard devant le conseil de guerre.

Tant et si bien que c’est la mine embarrassée et les yeux baissés que nous avançâmes face à nos juges.

Tant et si bien que peu coutumière de ce genre d’attitude effacée, je trébuchai dans la marche délimitant la partie arrière de la salle, me rattrapant de justesse à une petite table.

Etonnamment, Mirena n’émit pas le moindre sourire quand la table, soutenue par son seul pied central, bascula, répandant sur son tailleur Chanel, le contenu de son apéritif. Constatant à la couleur du breuvage s’étalant sur le tissu clair, qu’il s’agissait d’un vin rouge, je me précipitai sur le verre de blanc intact du colonel, pour en couvrir la vilaine tache, argumentant qu’il s’agissait du seul moyen pour en faire disparaître les traces. Se relevant promptement, elle compléta le triste tableau par deux capiteuses coulées qui terminèrent leur folle course sur ses escarpins en chevreaux albinos.

Heureusement, j’avais réussi à épargner les murs couleur rose profond ainsi que la belle collection de tableaux de Hippolyte Romain. Sans quoi, je me serais attirée, en sus du reste, le courroux de la maîtresse des lieux, femme d’action décidée qui ne semblait pas avoir la langue en poche.

Heureusement aussi, les lieux en question, étaient quasi déserts au moment de cet intermède. Il s’agissait d’un endroit intime et sobre, disposant de quelques tables et de moins d’une vingtaine de couverts. Derrière le comptoir, où l’on pouvait aussi se restaurer, trônait le chef aux commandes de sa cuisine-bar, préparant en direct les mets proposés.

 

La situation était revenue à la normale, à savoir Mirena et Vidol, le sourcil sévère, et face à eux, trois inculpés dans leurs petits souliers.

 

Les faits reprochés étaient les suivants : tentative de monter une opération parallèle et recrutement de personnel dans un but privé et violation de sépulture.

 

L’entrée de saumon froid, délicate et savoureuse de simplicité vint à point pour permettre à notre représentant du sexe faible de concocter une vraisemblance.

Etant la seule à dormir seule, hormis quand le devoir m’oblige à veiller sur l’infortuné Axo, il fut aisé de me faire porter le chapeau de cette histoire de mâles aventuriers. Que, d’après l’agent Millesoupirs (à qui je mettrai un coup de boule à la sortie), je recrutais pour mon propre compte à des fins ludiques, mes derniers partenaires de tennis séjournant tous en revalidation.

 

Ainsi démasquée et mimant, le feu aux nattes, un fin feint repentir, j’invitai la belle et pure Ana à venir admirer les petits légumes frémissants. Fut-ce le fait des jeunes carottes se colorant dans la poêle ou le poisson tendre développant ses arômes dans le beurre frais ou les boucles brunes du cuisinier ou encore le verre d’excellent Gigondas dont la patronne avait le secret, mais la magie opéra. Peu à peu, ses rides s’effacèrent au profit d’une petite lueur, toute petite mais combien rare, de satisfaction dans ses prunelles d’acier.

 

Nous avions fauté. Les Michemolle étaient enterrées, plus molles que vives, et nous avions été chassés par le gardien du cimetière à l’heure où tous les chats sont le naturel, il revient au galop. Nous n’aurions pas dû nous munir de ces huit bouteilles de saké ni entonner ces chants de guerre. Mais ce qui est fait est fait et cette nuit-là, aucune goule molle n’imprima ses pas dans les allées du cimetière d’Ixelles. Pas cette nuit-là, non …

 

Tout ça n’était qu’enfantillage. Amen. Nous voici pardonnés, pour le coup.

Ayant reçu l’absolution, il nous est permis de déguster notre expresso après avoir défait un cran de notre ceinture.

Le repas s’est montré à la hauteur des faits reprochés.

Espérons que notre prochain procès n’ait pas lieu à la cantine du coin, sinon nous n’aurons qu’à prendre la porte et comme dans les cantines du coin, elle est souvent en méchant bois écaillé, cela n’en vaut vraiment pas la peine !

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

  

Comme il vous plaira

Rue Marché au Charbon, 5

1000 Bruxelles

Tél : 02 513 06 33

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Episode 33 : « Le Sushi Bar »

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Sushi Bar

 

Seigneur, accueille en ta clémence, ces deux sœurs, qui  étaient nôtres, tiennes et qui l’étaient elles-mêmes, Prudence et Constance. Trop précocement arrachées à leur riante existence, elles vivront dans notre souvenance comme deux êtres d’incandescence. Nous garderons dans nos consciences l’image de leur inséparable présence comme celle d’une adhérence sur un verre de lait rance.

 

L’homme de Dieu ponctua ces mots par un bâillement et une levée des bras vers Celui à qui il adressait cette belle prière, tandis que la bière disparaissait dans les entrailles du cimetière d’Ixelles.

Elles avaient été prévoyantes, les Michemolle et sur les conseils d’un excellent démarcheur, car il n’est pas facile de remplir son carnet de commande avec ce genre de porte-à-porte, avaient choisi, voici juste quelques semaines, un cercueil biplace assez cossu.

Elles avaient opté pour le modèle ergonomique, en simili chêne lavable, monté sur trois roues directionnelles et escamotables par un simple tour de papillon. Les deux habitacles étaient disposés côte à côte et permettaient le jogging, le transport en voiture ou la position assise par beau temps. Etant donné que les pauvres parents de ces deux jouvencelles les avaient précédées de plusieurs années dans la rubrique nécrologique et qu’aucun candidat ne s’était porté volontaire pour les aérer, nous décidâmes en notre âme et inconscience de ne pas utiliser les facilités qu’offraient leur dernier  achat et de les inhumer tout simplement.

 

Il y avait cependant dans ce double décès quelques faits troublants.

Les corps avaient été trouvés par l’agent Millesoupirs, au terme d’une banale journée de travail. Dans un souci d’économie qui l’honore, notre fidèle ami ne pouvait s’empêcher d’effectuer une petite ronde de nuit afin de vérifier l’extinction de toutes les lumières. Parvenu devant le bureau des deux sœurs, il avait dû en forcer la porte, cette dernière étant bloquée par le corps de la Prudence, immobilisée dans un quatre pattes inhabituel. Sous l’impact, elle s’était effondrée, sa jupe plissé soleil se relevant sur une paire de cuisses poilues. Troublé par le charmant spectacle, le pauvre homme avait promptement cherché du regard un objet anodin capable de le remettre de ces émotions. Hélas, ce qu’il vit ne fit qu’ajouter à son désarroi. La tête de la Constance était ancrée dans le clavier de l’ordinateur, son nez en hameçon appuyant sans relâche sur la lettre « q ». Tout à fait désarçonné, c’est en s’excusant à voix basse du dérangement que Millesoupirs avait tourné les talons. Non sans oublier d’éteindre la lumière, laissant les corps sans vie éclairés par la lueur glauque des q sur l’écran.

 

L’autopsie pratiquée au pied levé et les doigts dans le nez par le Professeur A. Lure, chargé de cours d’éthologie à Cureghem et seul praticien disponible en ce congé pascal, avait conclu à un décès par intoxication fulgurante à la bergamote contenue dans le thé dégusté par les deux innocentes.

Mais de même qu’il n’y a pas de sot métier, il n’y a pas de bête façon de mourir et comme celle-là valait bien une autre, le permis d’inhumer fut délivré.

 

Millesoupirs, enfin remis, pesait à mon bras, prétextant une cheville douloureuse.

L’entraînant vers la sortie, je nous hâtai vers un havre proche et propice à la réflexion.

 

Le Sushi Bar apportait une suite subtile à cette belle cérémonie. L’agencement régulier de ses tables hautes, ses banquettes de bois blanc, jusqu’au poisson sculpté suspendu au-dessus du comptoir s’harmonisaient avec bonheur avec les sympathiques rangées de pierres que nous venions de quitter. De plus, l’accueil souriant paraissait plus authentique que celui promis par l’officiant précédent.

 

Je ne croyais pas à l’interaction de la bergamote, du chokotoff et du comprimé de prozac qui, chez des personnes porteuses d’une délétion autosomique récessive du bras court du chromosome 53, telle que retrouvée dans la famille Michemolle, provoque un collapsus cardio-vasculaire fulgurant et fatal. Le fait est qu’elles ne mangeaient plus de chokotoff depuis le remplacement de toutes leurs dents et que du temps où elles avaient les vraies, elles n’avaient pas besoin de prozac. Mais pourquoi avoir succombé à cette friandise tout d’un coup ? Et pourquoi avoir fait l’acquisition récente de leur dernière demeure et l’avoir choisie mitoyenne ?

 

Je n’espérais pas de réponse de mon collègue. Il rivait des yeux épatés sur le talent du cuisinier, à tel point que moi aussi, je finis par admirer l’individu. Il n’était pas bien grand et ses gestes précis et rapides lui donnaient des airs de magicien. Ah, que c’est beau, des mains d’homme pétrissant des chairs tendres !

 

Il y avait bien longtemps que je n’avais mangé d’aussi bons sushi et sashimi. On peut les remercier les soeurettes d’avoir choisi ce coin-ci pour leur petite promenade de santé. Ce qui me ramène au nœud du problème. Il va sans dire que je suis la bête pensante de notre duo et qu’un ours qui se gave de poisson et de vin de riz n’est d’aucun secours.

 

A mon avis, elles ne sont pas mortes. Elles ont abusé le légiste par un état de catalepsie selon un moyen à découvrir. Lequel nous a abusé en prétendant avoir autopsié. Au plus, a-t-il aspiré l’estomac ! Elles vont bientôt émerger et sortir de leur tombe à l’aide du matériel caché dans leur cercueil. Lequel contient aussi sûrement une réserve de chokotoff. Elles ont plus que probablement dérobé des renseignements d’importance et souhaitent passer à l’ennemi sous une nouvelle identité.

 

Plus une minute à perdre ! Termine ton thé. Paie et dis bien merci aux messieurs. C’était délicieux. Retrouve-moi vite au cimetière. Les Michemolle,  qui n’ont jamais vampirisé personne, sont maintenant des mortes vivantes et  là, ça risque de chauffer !!!

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Le Sushi Bar

Avenue des Saisons 123

1050 Bruxelles

Tél : 02 640 97 77

 

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Episode 32 : « Le Café des Spores »

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Le café des spores

 

Les quatre hommes nous faisaient face, dos aux bouteilles, sur l’étroite galerie de bois située à l’étage supérieur. Du rez-de-chaussée où nous étions, nous pouvions voir saillir leurs pectoraux et leurs biceps bandés sous leurs manches retroussées.

 

L’endroit était chaleureux. Au bout de la salle, un escalier de bois menait au fumoir et autres commodités. Quelques tables étaient regroupées sur une mezzanine nous surplombant tandis que de l’autre côté des marches, une plateforme permettait l’accès aux nombreuses bouteilles disposées sur toute la hauteur du mur respectant l’ancienne vocation de quincaillerie du lieu.

Quoiqu’en l’occurrence, la vue des bouteilles était avantageusement remplacée par quatre silhouettes virilement masculines.

 

Les vitres embuées, le long comptoir d’inox, le long monsieur en long tablier qui nous commentait le long tableau noir, le monsieur plus petit qui l’aidait à préparer des petits plats valant bien les grands, tout cela nous plongeait, mon alcoolique 53 bis et moi, dans une agréable ambiance décalée. Cela et la chaleur qui descendait tout doucement dans nos reins sous l’effet d’un excellent verre de xarel-lo « colleçao » d’Albet i Noia, conjugué à la contemplation de quatre boucles de ceinturons étincelantes.

 

Absorbées par de fructueuses réflexions quant aux capacités de résistance des quatre individus exposés, nous remarquâmes à peine que l’homme au tablier, surnommé le Phare Breton ou la Perle de Cancale en fonction de son rythme nycthéméral, s’était assis face à nous, nos corps n’étant séparés que par quelques rondelles de saucisson aux pistaches.

Connaissant ses compétences incontestées dans la cueillette du champignon rare, nous l’avions chargé de découvrir un aventurier d’expérience et en ordre de mutuelle, capable de nous accompagner sur les routes les plus dangereuses.

Faisant preuve d’une conscience professionnelle admirable, le Phare avait déniché au pied d’un chêne, non pas un mais quatre baroudeurs répondant à nos critères, la crise économique provoquant leur rassemblement pour tirer des balles dans des canettes de Stella.

 

Excitées au plus haut point par l’histoire de trésor d’Axo, nous avions décidé de prendre les choses en main. Admettons que la Fraude reste à la maison pour soigner son diabète, qu’Axo reprenne du poil de la fête en sa compagnie, que nous trouvions une escorte de choix, que notre demande de trois mois de pause-carrière pour raison de santé mentale soit acceptée, il ne nous restait plus qu’à bondir à la recherche du diamant vert, la boussole à la main et la girolle au chapeau sans crainte du lendemain.

 

D’un sifflement discret, la Perle fait signe au premier des hommes de descendre nous rejoindre. Posant sa gourde à ses pieds, il retourne la chaise d’un geste militaire et s’assied à califourchon dans l’attente de nos questions. Paul, de son nom de baptême, a roulé sa bosse à travers le monde, mené des expéditions de l’Amazonie jusqu’à l’Antarctique en passant parfois par l’Arctique de la mort mais se relevant toujours.

Impressionnée par ce modeste cévé, je m’empare du bic à quatre douleurs de ma mère pour en consigner dans mon carnet de poésie les moments les plus épiques et signifie au héros que nous le contacterons si sa candidature est retenue.

Le crumble aux agariques fait merveille pour faire retomber la pression. Cette petite chose croustillante arrosée d’un très bon Mestaje , un vino de la terra el terrerazo à base de Bophal (pour 50%),  nous permet de passer au postulant suivant qui déjà chaloupe vers notre table en roulant des mécaniques.

Le parcours de John, ainsi déclaré à l’état civil, semble en tous points similaire à celui de son prédécesseur. Lasse des coups de machette dans la forêt tropicale, je le renvoie sur le trottoir avec la formule d’usage, désireuse de passer à George, notre numéro trois qui piaffe devant les flacons.

L’homme est magnifique, taillé dans le granit, le regard intense, le front énergique. Je perçois l’émoi de 53 bis qui s’agite à mes côtés dans un départ au trot rassemblé.

Une aubergine confite au gorgonzola apportée par la providence vient rompre le charme et avalant sa soudaine absence de salive, la petite s’éclaircit la voix pour questionner le dieu vivant. Rien n’est jamais parfait et le timbre de fausset qui s’échappe de ce magnifique poitrail nous fait l’effet d’un mauvais rêve que nous chassons d’un geste dédaigneux de la main.

Se sentant ridicule de ses récentes pulsions, mon bras droit s’enferme dans un mutisme sinistre, tentant probablement de nous culpabiliser de sa propre sottise.

Nous l’ignorons, préférant porter notre intérêt sur une raviole à la ricotta et aux cèpes qui s’avère propice à ramener ma versatile camarade à de meilleurs sentiments. C’est même elle qui trompette notre quatrième larron avant qu’il ne prenne racine et que son pétiole ne s’étiole.

Ringo est du genre délicat. Le crâne dégarni, de petits yeux noisettes derrière des lunettes légèrement fumées, on le verrait mieux entouré de dossiers qu’escaladant une colline armé de son canif et de son bandana. Et pourtant, sa voix est chaude et rassurante. Ses mouvements sont précis et vifs. A la façon dont il a craché puis recueilli entre les lèvres un petit pois échappé au mixage d’une étonnante soupe aux pois et morilles, dont on avait gardé une louche pour réchauffer ses pieds bleus d’immobilisme, on a reconnu le vrai champion.

 

Qu’importe le choix que nous ferons, maintenant seules, nous levons notre verre au souvenir de ces quatre garçons dans le vin, alignés devant les bouteilles, la tête haute, le menton arrogant. Ah, comme ils étaient beaux ces mâles !

Et ce verre d’Ode au Temps qui Passe, d’Ostertach, c’est un peu comme si on l’avait déjà, notre trésor !

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

 

Le Café des Spores

Chaussée d’Alsemberg, 103

1060 Bruxelles

Tél : 02 534 13 03

 

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Episode 31 : « Tribeca »

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Tribeca

 

A vrai dire, je ne sais pas si je suis vraiment d’humeur à affronter le repas de ce soir.

La dernière semaine fut dure. Eprouvante. Sans rêve car sans repos. Et sans le repos du guerrier, on ne peut compter que sur ses réserves et sur un anti-cernes de course pour affronter les vices et situdes de la vie. Comme mon anti-cernes est sur la réserve, me voilà belle. Et j’ai juste envie d’enfiler un slip en coton marqué « mercredi », mon 501, un gros pull et une vieille paire de bottes pour me rendre au rendez-vous.

 

Mais je n’en fais rien.

J’opte pour La Perla, les bas, la soie, le mascara, mon beretta, et tout le tralala qui fait de moi, l’espionne accomplie que l’on supplie.

Pour Axo, la tâche fut moins facile. Ayant pris possession de lui dans un état déplorable, j’avais dû me résoudre à brûler ses malheureuses frusques. L’odeur émanant de ses nippes, qui avant leur immolation ressemblait à la sueur d’un renard pris au piège, avait transformé, au fil des braises,  mon intérieur coquet en une cour de ferme, un jour d’épandage.

Discernant mal l’individu dénudé de sens à travers l’épaisse fumée, j’obtins cependant ses mensurations à l’aide de mes deux mains et de mes dix doigts.

La seule solution était le recours au plan Q.  A savoir le recours au QG-dans-mon-grenier-plein-de-vieilleries-que-je-ne-veux-pas-jeter de l’agent Millesoupirs.

 

C’est ainsi que la main reposant sur le bras d’Axo, joliment vêtu du smoking de mariage de mon ami, accusant quatre tailles de moins que son actuel costume en poils d’ours, je franchis la porte cochère de la maison de maître faisant claquer mes talons dans le hall d’entrée gigantesque.

Son look Vintage, assorti à mon élégance naturelle, s’accorde à merveille au charme de l’endroit, grandiose sans être prétentieux, majestueux sans être étouffant selon les termes de la publicité parvenue au bureau. Faisant bon cœur contre mauvaise formule, je laisse au vestiaire mon mouton détourné et mes préjugés et progresse à travers l’atmosphère feutrée du restaurant vers la table où 53 bis et La Fraude nous attendent.

 

Toussotant légèrement afin d’attirer l’attention de nos convives, s’encanaillant à pleines muqueuses en dépit des convenances, je prends place, ainsi qu’Axo, dont je menotte les chevilles par souci de prudence.

Si ma semaine fut ce quelle fut, c’est qu’après le sauvetage du Rugantino, n’écoutant que mon devoir, je pris sous mon sein et à dessein cette pauvre épave, déterminée que j’étais à en tirer un maximum d’informations, dut-il laisser ses dernières forces dans la bagarre.

 

Abandonnant les présentations pour jouir de l’éclatant sourire de la charmante serveuse désireuse de nous servir d’apéritif, nous entamons la partie avant même la coupe rose de bienvenue.

Les renseignements obtenus au cours de longues séances d’interrogatoire menées à toute heure du jour ou de la nuit durant la semaine infernale, avaient été confiés à notre chef des archives afin qu’il vérifie leur authenticité et nous permette une analyse incohérente de la situation.

 

Il s’avère donc que le bel Axo, il faut souligner que les quelques jours passés dans mon antre lui ont rendu une certaine prestance, avait posé le pied sur un nid de vipères en s’emparant de …

 

C’est de notoriété publique, un homme est incapable de faire deux choses à la fois et cette conversation s’arrête au moment d’amorcer un virage décisif et au milieu duquel il nous faut garder l’église, car se silhouette, dans la lumière tamisée, l’éclatant sourire sus-mentionné, tout en bras lourds des mets commandés et en jambes légères.

Les assiettes que cette créature dispose sur nos sets immaculés sont artistiquement dressées et prometteuses des données contenues dans l’énoncé du problème.

 

… du plan révolutionnaire d’un sous-marin propulsé à l’énergie solaire. Jamais, il n’aurait imaginé que les 53 chiffres griffonnés dans la marge, allaient changer sa vie. Essayant toutes les combinaisons possibles, tant en nylon qu’en dentelle, il avait découvert le code d’un coffre dissimulé dans le grille-pain de l’inventeur. Et mis la main sur une carte à moitié consumée indiquant l’emplacement d’un trésor …

 

Conscients que nous nous sommes retrouvés au restaurant et non pas à la gare, nous n’attendons pas le train suivant, ne disposant pas de l’horaire mais bien de deux couverts.

Ayant réservé une place dans l’Orient-Express plutôt que sur la ligne Charleroi-Bruxelles, nous pensions, à tort, qu’au faste du décor s’alliait l’enchantement du palais. Mais hélas, il n’en est rien et si la noix de veau, la selle d’agneau, les Saint-Jacques et le bar rivalisent de beauté dans la création, une fois hors de vue et soumis à l’épreuve de nos petites langues aiguisées, ils perdent jusqu’à l’intérêt d’avoir existé.

 

Il est vrai que la griserie provoquée par le récit ne fait qu’accroître la grisaille de nos papilles que nous laissons reposer, emportés dans le tumulte des aventures de notre narrateur poursuivi par plusieurs bandes rivales, elles aussi en quête du graal.

 

Il nous suffit d’un regard complice, à 53 bis et à moi, pour décider de nous lancer dans la partie. S’il sait se tenir, la Fraude nous servira d’estafette.

Quant à Axo, je me le garde pour la protection rapprochée.

Et si quelqu’un n’est pas d’accord, qu’il se taise.

 

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Tribeca

Avenue Louise, 412

1050 Bruxelles

Tél : 02 6474707

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Episode 30 : « Rugantino »

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Rugantino

 

Qu’est-ce que ça pèle !

Le mercredi soir, en Belgique, en hiver.

C’est dans des moments comme celui-là qu’on se désole de céder aux impératifs de la mode et force m’est de constater, qu’un col roulé tient plus chaud qu’un petit cache-cœur de soie sauvage.

 

Ce soir, mon bras droit et moi rencontrons un morceau de ma mémoire.

Alors que je glanais les renseignements indispensables à l’arraisonnement de trafiquants antillais et à leur assaisonnement à la sauce créole avec juste ce qu’il faut d’échalotes pour leur faire regretter que leur mère, dans un moment d’égarement, leur ait donné la vie, la petite avait, quant à elle, mis à profit le temps libre que lui laissaient ses emmêlés avec le chef des archives, pour recueillir plusieurs bouteilles à la mer envoyées par un porté disparu, mon très cher Axo.

L’homme était aux abois, en prise à de tels tourments qu’il n’entrevoyait de salut qu’en implorant mon aide et je ne pouvais décemment pas lui refuser la main secourable qu’il quémandait.

 

Le Rugantino semblait, lui aussi, sorti tout droit du passé, avec sa grande salle dans laquelle étaient alignées de longues tables aptes à accueillir un bureau de fonctionnaires en goguette voire un enterrement ou des fiançailles. De ci de là, quelques tables plus petites rendaient le slalom des serveurs plus sportif. Il y régnait une bruyante animation et les rires ricochaient jusqu’au plafond culminant à l’étage supérieur où une mezzanine en carré surplombait la pièce principale.

La Chose nous attendait, attablé dans un coin reculé, se tordant les yeux en tous sens et roulant des mains.

Je peinais à reconnaître en ce fragile personnage, l’ennemi juré, le poursuivant impitoyable, l’adversaire insaisissable et pourtant corse m’est de formater que ce débris n’était autre que mon bel Axo.

 

Rengainant mes sarcasmes et ma superbe au profit d’une adorable diplomatie, je prends place face à l’ombre de lui, 53 bis serrant sa dextre.

Hélant d’un battement de cils un garçon, je lui dicte d’autorité notre commande prenant l’initiative maternelle du choix, pour lui, la même chose que pour moi et pour elle, comme pour lui, histoire de ne pas y passer la nuit car morve m’est de conspuer que cette pauvre épave se nourrit n’importe comment et a des heures de sommeil à rattraper.

 

Prenant garde de ne pas heurter trop violemment mon verre de campari contre le sien de martini, de peur de lui déboîter un poignet décharné, je m’enquiers gentiment des raisons de son désarroi.

 

La confusion de ses propos n’ayant d’égale que l’incohérence de son discours, torve m’est de colmater que nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Pensant à tort être parvenue à démêler les cheveux de sa pensée, je remercie avec soulagement la pause gustative procurée par la généreuse assiette de buratina déposée devant nous. Le fait est qu’au moment de planter une hardie fourchette au sein d’une des bourses, de mozzarella, le seul élément dont je sois sûre est que, poursuivi par meute d’individus armés des pires intentions et animés jusqu’aux dents, le désespéré s’est réfugié chez son parrain, propriétaire du restaurant. Le parrain, ayant perdu son accent, ses droits de cuissage et sa main mise sur la pègre en mariant une fille des Marolles, n’avait pu lui offrir que la protection de son toit et c’est pourquoi, ayant perçu en mon corps et âme un trouble incertain mais réciproque, à l’occasion de nos joutes passées, le héros défait s’est tourné vers moi.

 

Rougissant quelque peu de cet aveu, je laisse le soin à 53 bis d’éclaircir la situation, pour mieux me concentrer sur le plat suivant, les pasta al ragu, cuites al dente et les tomates et la viande et le ragoût et tout et tout.

On ne s’en rend pas toujours compte mais la vie ne tient parfois qu’à un fil. C’est en détaillant de très près le contenu de mon assiette pour y trouver une contenance, que j’aperçois, reflété par le dos de la cuiller, le canon d’un revolver, prolongé par la crosse puis par la main puis par le bras d’un tireur embusqué derrière la balustrade du premier étage.

 

D’un ultra-rapide mouvement de mon corps félin, je me lève, culbute Axo sur le sol, sans me jeter sur lui, saisis la table et la redresse en guise de bouclier. Déjà, des dizaines de projectiles viennent s’échouer dans le bois, déchiquetant la nappe de papier. Aux rires des convives, succèdent les cris et la fuite vers le boulevard. La foule hystérique s’échappe à travers les grandes vitres brisées, emportant lambeaux de rideaux et plâtre des murs explosés, célébrant d’une façon bien impie le mercredi des cendres.

Gardant la tête froide, je glisse un œil vers le tueur et morse m’est de composter qu’ils sont trois.

Mon colt python est parfaitement équilibré.

Je dispose de six balles et d’une précision diabolique.

Et je suis furieuse.

La première balle rentre gracieusement dans l’os frontal du premier tireur. La seconde se fiche dans le cœur de son comparse de gauche, la troisième et la quatrième sont moins définitives, éclatant les genoux du dernier assaillant.

 

Je rejoins mon 53 bis, épuisée d’avoir traîné Axo sur le trottoir. Il est blafard et tremble de partout. Je les entasse sur le siège passager de ma jaguar et vrombis sans plus attendre.

 

Pour les explications, je verrai plus tard. Après une bonne nuit de sommeil et une bonne soupe, il a intérêt à tout me dire car à présent, torse m’est bien de molester, que le cher amour est incapable d’émettre autre chose qu’un ronflement.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Rugantino

Boulevard Anspach, 184

1000 Bruxelles

Tél : 02 511 21 95


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Episode 29 : « La Villa Créole »

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La Villa Créole

 

C’est par une nuit sans lune que nous embarquâmes, pour une mission très spéciale en Martinique, à bord un coucou datant de la guerre des Gaules à en juger par sa plaque minéralogique à trois chiffres mais obéissant au doigt et à l’œil de son maître, d’à peine 20 ans son aîné.

Le voyage ne fut qu’enchantement, ravissement et vomissements, l’absence d’hôtesse et de verres nous obligeant à partager au goulot du commandant deux litres d’un excellent 10 ans d’âge de la maison JM suivis de deux autres bouteilles de rhum blanc de chez Neisson. C’est au terme d’un exposé sur les rhums agricoles que notre homme s’endormit, laissant à mon équipier la direction des opérations. Le brave Millesoupirs, grisé par le jus de canne, ne se fit pas prier pour empaumer le manche à balai, me permettant de lire à sotte et inintelligible voix le Notre Père en Créole collé sur le dos de son parachute.

 

Mais non n’étions pas de ceux pour qui le destin sonne le glas et nous foulâmes d’un pied incrédule la terre de Fort-de-France à l’heure dite, à cinq minutes près, quoiqu’un jour de retard. Après avoir remercié du fond du cœur et donc du bord des lèvres où il s’était logé, l’as des as, nous titubâmes jusqu’au palmier le plus proche et cessâmes toute émission.

 

Deux jours, six heures, cinquante-trois minutes plus tard, nous sommes prêts à passer à l’attaque, ragaillardis par notre courte sieste.

Me tournant vers mon compagnon de plage afin qu’il ouvre la valise diplomatique menottée à son poignet et contenant notre ordre de mission et quelques strings de rechange, je remarque combien son ombre paraît énorme par rapport à la mienne, toute en finesse et courbes harmonieuses. Au moment où je vais lui faire remarquer qu’il a forcément forci en forçant comme un forcené sur le rhum, je me rends compte que, vaincu par la fatigue, le pauvre s’est endormi sans ôter son parachute.

 

Sans perdre une minute de plus à de futiles étirements, je m’empare de nos instructions et nous annonce qu’il nous reste cinq minutes avant de partir pour l’Anse Mitan.

 

Un brin de toilette, un coup de brosse et une touche de mascara et nous voilà aux portes de la Villa Créole.

C’est une maison jaune, adossée à sa voisine, on y monte à pied, on ne tire pas, ceux qui vivent là, sont bien protégés.

 

Il s’agit de découvrir l’heure et le lieu exacts où seront dealées plusieurs grosses cargaisons de crack acheminées par bateau depuis la Dominique vers l’une des nombreuses petites cryptes de la côte martiniquaise. La belle affaire !

La réputation acquise dans l’affaire russe ayant largement dépassé notre continent, on avait fait appel à moi pour effacer les traces des cuisants échecs de la Brigade locale des Stupéfaits.

 

La transaction de ce soir aura lieu entre le docteur Christopher Till et monsieur Oliver Mine respectivement coachés par une jeune et blonde maîtresse.

Le docteur est un chimiste allumé, arborant, au revers de son veston, une curette lui permettant de prélever de façon professionnelle un gramme de cocaïne, et une élégante calvitie assortie à son teint hâlé. C’est un individu sans scrupule et dont il faut se méfier.

 

Les tables sont disposées autour d’un patio comprenant, quelques marches plus bas, une piste de danse et une scène où le maître des lieux enflamme la foule des dîneurs subjugués par la reprise des plus grands fiascos de la chanson française.

 

L’agencement des lieux nous permet vite d’élaborer un plan désarmant de simplicité. Toi, à droite, moi à gauche.

Aussi taudis, aussitôt fait et déjà voilà mon Millesoupirs qui se dirige d’un pas habitué vers les cuisines. Se mêlant aux serveurs en sa qualité d’extra engagé en toute dernière seconde par le boss qui n’a pu prévenir vu qu’il est en train de nous servir du Goldman en Créole, il s’occupera de la commande de la 53, les deux messieurs en costume et leurs deux blondes.

Moi, je glisse de Noah à Voulzy me déhanchant subtilement en contrebas de leurs conversations, à deux pas de leur table.

 

L’entrée, une très honorable terrine de poissons, ne nous laisse malheureusement pas entrevoir la sortie, leurs propos oscillant entre les leçons de solfège de leur marmaille et leur handicap au golf.

 

Les lambis, délicieux coquillages servis en lamelles, à la crème et accompagnés de christophines à l’étuvée ont par contre la vertu d’amorcer la causerie vers les choses sérieuses.

C’est en desservant avec une infinie lenteur que l’information tant attendue tombe dans l’oreille du serveur, fort judicieusement orientée vers leurs lèvres et réglée sur la sensibilité maximale.

 

Ayant compris par sa série de soupirs émis en morse qu’il est temps de mettre les bouts, je m’arrache à regret à l’étreinte zoukée d’un autochtone muni, entre autres, d’un sens du rythme admirable et je rejoins mon binôme qui piaffe à l’embarcadère tout proche.

 

Je me refuse à transmettre notre rapport de mission à qui de droit avant notre arrivée à l’aéroport et la certitude qu’Air France nous prenne sous son aile pour le retour.

Pas de bras, pas de chocolat.

Pas de place de marque, pas de saisie de crack.

Les voyages forment la jeunesse mais à l’aller, j’ai pris 10 ans et pas que de rhum brun et quoi qu’on en pense, y a des gens qui tiennent à moi !

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

 

La Villa Créole

Anse Mitan

97229 Trois Ilets

Martinique

Tél : 0596 66 05 53

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Episode 28 :  » U Zi T’uri »

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U Zi T’uri

 

Mais c’est à se demander ce qu’ils ont dans la tête !!

Maman est en train de fulminer, le bic à quatre couleurs dont le bleu, le vert et le noir sont respectivement remplacés par un laser paralysant, une seringue de penthotal et un mini-missile sol-sol, traçant des cercles rouges et des points d’interrogation sur les feuilles éparses devant elle.

 

Je ne trouve rien à dire, à médire, ni à redire sur cette exclamation en guise d’accueil.

La directrice de l’EPEE est une enseignante passionnée et la voir corriger ses copies au beau milieu d’un restaurant titille toujours ma fibre sensible, que j’ai d’ailleurs hypertrophiée, surtout en période de pluie.

 

Autour de nous, juste quelques convives et leurs conversations animées. Des murs blancs, des photos de Sicile échappées d’une échoppe à touristes, un nerf de Syracuse dans les yeux des serveurs. Niveau de danger proche de zéro et de mon actuelle glycémie. Se détendre et se pencher sur la carte.

 

Le premier homme s’avance vers nous. Le regard inquiet et respectueux pour la correctrice et ses traits écarlates. Il doit encore avoir honte d’avoir préféré jouer aux billes plutôt que d’apprendre la table de 53. Je choisis rapidement et seule, deux apérol sans alcool, ne voulant pas risquer que, dans un moment d’égarement, maman ne change de pointe et ne nous sorte un sol-sol. L’homme repart, un sourire professionnel sur les lippes, mais la queue entre les jambes et les oreilles en arrière, intimidé par les schémas entraperçus.

 

Il ne s’agissait pourtant, dans la première question d’examen d’entrée à l’EPEE, que de reconstituer un Smith et Wesson, un Desert Eagle et un Sig Sauer en pièces détachées, schématisées et mélangées. La base élémentaire de tout candidat espion qui se respecte.

 

Le second homme s’approche. Aurais-je eu tort de considérer le danger nul sur les bords de la méditerranée ou l’individu couleur farine de blé dur de la racine du tablier à la ceinture des cheveux n’est-il que le pizzaïolo qu’il prétend ? Certes oui. Et il n’a d’autre intention que de s’enquérir de notre commande et de nous conseiller. C’est donc sur son conseil aviné que j’opte pour une onction à l’huile d’olives de mes parois gastro-oesophagiennes.

 

Un sfurmatu di cacocciuli.

Ce n’est pas la bonne réponse à la deuxième question, qui porte sur la meilleure façon de délier les langues sans laisser de noeud, quoique la chose puisse inciter au bavardage à en croire les éloges élogieux arrachés à ma mère arrachée à ses corrections par l’odeur alléchée.

La terrine d’artichauts parfumés aux herbes, nappés d’huile d’olives et recouverts de parmesan, sortant tout droit du four à pizza nous est amenée par le troisième individu sortant quant à lui de nulle part. Je relève mon index de vigilance face à cette profusion masculine sicilienne afin de résister à la tentation de le tremper dans la sauce. Il y a des attitudes que maman, assez vieille Wallonie, ne supporte pas. Celle-là ainsi que de ne pas terminer son assiette. Mais le second comportement est dans le cas présent aussi improbable que la découverte d’armes de destruction massive à Wanfercée-Baulet.

 

Mise de fort bonne humeur, ce qui dernièrement se révèle aussi improbable que le fait susdit, je déniche, au fond de mon sac, un stylo anodin, à peine muni d’une caméra à infrarouges sertie dans le capuchon, et nous nous attaquons aux dernières questions, dont les réponses s’avèrent moins mono-neuronales que nous le craignions.

 

Enfin, paraissent la pizza du chef pour ma génitrice et les pâtes pour sa rejetonne, servies comme il se doit par un quatrième lardon. Avanti ! Il ne nous reste, pour n’en faire qu’une bouchée, que le temps que met le fût du canon pour refroidir ; les blêmes postulants attendent leurs piètres résultats.

 

Les minutes s’écoulant inoxydablement, ni cassata ni tiramisu ni le plus petit expresso car déjà, il faut partir.

 

Mais nous reviendrons, ne fut-ce que pour connaître le poids et le recul exacts de l’Uzi Turi et … surtout, surtout, surtout pour récupérer le bic à quatre couleurs que mon ECERVELEE DE MERE a oublié sur la table !!

De grâce, que personne n’y touche, il est chargé !

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

U Zi T’Uri

Rue de Birmingham, 32

1070 Bruxelles

Tél : 02 524 21 24

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