La Quincaillerie
Je retournais la carte de visite entre mes doigts graciles en tous sens sans pouvoir trouver un sens à sa présence entre mes doigts graciles.
P. Amourette.
Il devait de toute évidence s’agir d’un nom de code. Quiconque nanti d’un tel patronyme s’en serait défait au profit d’un anodin Castagnette ou Savonnette.
P. Amourette, sévices secrets nationaux.
Voilà qui était pour le moins intrigant.
J’avais trouvé la petite carte en papier glissé, glacée dans la poche poitrine de ma toute nouvelle veste de cuir rouge au terme d’une soirée aussi officielle que pompante, toute en ronds de jambe et courbatures comme je sais si bien les faire.
Il y avait pourtant du beau monde et je ne pensais pas qu’entre les coupes et les petites choses délicates fondant en bouche, une main puisse s’aventurer ainsi sur mon sein en toute impunité.
C’est au retour, au moment précis où dans un bruit silencieux, la capote s’adapta parfaitement à la carrosserie que la puce fut mise à l’oreille de mon odorat professionnellement aiguisé. Une discrète odeur maritime s’échappait du siège passager. Fronçant un sourcil inquiet vers 53bis, affalée sur le cuir et dont j’avais couvert les ronflements par ma veste négligemment jetée sur le visage, je tentai immédiatement de découvrir l’origine de ce qui venait irriter mes poils de nez et faire frémir ma blonde moustache. Innocentant la petite, uniquement parfumé au tahiti avocat et thé vert, j’identifiai le bristol coupable, tapi dans la poche.
P. Amourette, sévices secrets nationaux et expert en jus d’huîtres à ce qu’il sentait !
Je ne disposais que de peu d’informations pour identifier l’individu dont les coordonnées m’avaient été mystérieusement remises. Un relent de marée, une tache jaunâtre et surtout deux fragments d’empreintes digitales.
Pressée d’en savoir plus, je saupoudrai la carte d’un peu de fard à paupière que je fixai d’un coup de spray déodorant avant de sécher le tout sur le radiateur de mon bolide. A peine cinquante-trois secondes après avoir transmis la chose par satellite, les conclusions me parvenaient. Claires et sans équivoque. Il s’agissait d’un fragment des premier et second orteils de la main inférieure gauche d’un homme de moins d’un mètre septante et de plus de nonante kilos, ayant passé les heures précédant le dépôt de l’objet dans ma veste, à jouer avec des huîtres et du champagne Ruinart.
C’était plus qu’il ne m’en fallait pour agir et après une nuit réparatrice, je poussai ma curiosité jusqu’au seuil de la Quincaillerie, brasserie détentrice des questions à mes réponses.
Il s’agissait d’une magnifique maison conçue par les disciples d’Horta et qui, jusqu’il y a une petite trentaine d’années, contenait dans sa centaine de tiroirs de pin d’Amérique, tous les bibelots justifiant son enseigne. L’endroit ne manquait pas d’allure, depuis l’entrée où l’on progressait entre les boiseries et les cuivres luisants du bar et de l’écailler, jusqu’aux différentes salles, délicieusement rétros dans leur ambiance d’usine passée au Monsieur Propre.
Il était exactement midi cinquante-trois comme en attestait la grande horloge de l’escalier. Je venais de confier, avec quelques palpitations, mon bijou technologique au voiturier et j’emboîtai le pas à un charmant jeune homme dont le sourire éclatant acheva de me décadencer le myocarde.
Si, P. Amourette, sévices secrets, sévissait secrètement en ces lieux, faites qu’il soit lui aussi un frère jumeau de Brad Pitt, histoire d’en faire baver 53bis qui se remettait d’un match de ping-pong forcené.
J’empilais consciencieusement les 18 creuses de Normandie à qui je venais de dire ma façon de penser, et en bien, quand une interpellation venue de nulle part ébranla le bel édifice malmené par le cri de surprise que je n’avais pu étouffer.
Chaussé de mocassins lui permettant les déplacements furtifs mais n’autorisant pas le relevé immédiat des empreintes digitales, l’homme jovial qui se tenait devant moi correspondait en tout point à la description détaillée obtenue par l’analyse de la carpe de visite.
Il gloussait en ramassant les reliefs de mon entrée, distillant l’humour à grands coups de bouffonneries tant et si bien que je ne peux m’empêcher d’écarter moi aussi les lèvres jusqu’aux pré-molaires.
Je le laissai dévoiler son affaire secrète, le temps d’un poussin rôti à l’estragon frais et d’une glace à la fraise maison dont l’excellente qualité était à même de me distraire d’une logorrhée n’ayant d’égale que la mienne les jours de fête.
P. Amourette, sévices secrets, lassé des écailles, des bulles et de l’eureka, s’était mis en tête de reprendre le flambeau à peine refroidi des fidèles Michemolle dont il avait entendu conter l’émouvante inhumation et l’hommage nocturne au saké.
Lui certifiant que sa demande serait transmise à mes supérieurs homériques, mais que son restaurant ne serait plus ce qu’il est sans son lutin des forêts de pins d’Amérique, je plaçai quatre doigts dans le creux de sa main et d’une légère pression du pouce lui fis comprendre combien j’avais été ravie par ce repas animé.
Bons baisers de partout.
Agent 53.
La Quincaillerie
Rue du Page, 45
1050 Bruxelles
Tél : 02 533 98 33