Episode 34 : « Comme il vous plaira »

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Comme il vous plaira

 

L’heure n’était pas à la fanfaronnade, ni à la parade, tout au plus à la chiffonnade voire à la marmelade.

 

Les insistances supérieures avaient à nous parler. Nous avions été convoqués tous les trois, Millesoupirs, 53 bis et moi-même, par nos supérieurs histaminiques pour répondre de nos frimes devant l’humanité.

Certes, il eût été de bon abois que nous fussions à l’heure, mais nous ne l’étions pas. Au moment d’embarquer la joyeuse compagnie, une peur irraisonnée s’abattit sur mon bras droit. La petite était jeune et la convocation arrivée le matin même l’avait plongée dans les affres de la crainte à tel point qu’elle ne put se soustraire au besoin de ronger les dix ongles qu’elle entretenait avec un soin compulsif depuis sa rencontre avec La Fraude chez qui elle avait remarqué la stimulation intellectuelle provoquée par les égratignures dans le dos.

Ce ne fut qu’après avoir entendu mon discours plein de bon sens et d’exhortation au calme qu’elle reprit ses esprits, Millesoupirs parachevant mon œuvre en la berçant par la version en Wallon de l’Eté Indien pendant qu’elle sirotait un planteur.

 

Tant et si bien que nous comparûmes avec une demi-heure de retard devant le conseil de guerre.

Tant et si bien que c’est la mine embarrassée et les yeux baissés que nous avançâmes face à nos juges.

Tant et si bien que peu coutumière de ce genre d’attitude effacée, je trébuchai dans la marche délimitant la partie arrière de la salle, me rattrapant de justesse à une petite table.

Etonnamment, Mirena n’émit pas le moindre sourire quand la table, soutenue par son seul pied central, bascula, répandant sur son tailleur Chanel, le contenu de son apéritif. Constatant à la couleur du breuvage s’étalant sur le tissu clair, qu’il s’agissait d’un vin rouge, je me précipitai sur le verre de blanc intact du colonel, pour en couvrir la vilaine tache, argumentant qu’il s’agissait du seul moyen pour en faire disparaître les traces. Se relevant promptement, elle compléta le triste tableau par deux capiteuses coulées qui terminèrent leur folle course sur ses escarpins en chevreaux albinos.

Heureusement, j’avais réussi à épargner les murs couleur rose profond ainsi que la belle collection de tableaux de Hippolyte Romain. Sans quoi, je me serais attirée, en sus du reste, le courroux de la maîtresse des lieux, femme d’action décidée qui ne semblait pas avoir la langue en poche.

Heureusement aussi, les lieux en question, étaient quasi déserts au moment de cet intermède. Il s’agissait d’un endroit intime et sobre, disposant de quelques tables et de moins d’une vingtaine de couverts. Derrière le comptoir, où l’on pouvait aussi se restaurer, trônait le chef aux commandes de sa cuisine-bar, préparant en direct les mets proposés.

 

La situation était revenue à la normale, à savoir Mirena et Vidol, le sourcil sévère, et face à eux, trois inculpés dans leurs petits souliers.

 

Les faits reprochés étaient les suivants : tentative de monter une opération parallèle et recrutement de personnel dans un but privé et violation de sépulture.

 

L’entrée de saumon froid, délicate et savoureuse de simplicité vint à point pour permettre à notre représentant du sexe faible de concocter une vraisemblance.

Etant la seule à dormir seule, hormis quand le devoir m’oblige à veiller sur l’infortuné Axo, il fut aisé de me faire porter le chapeau de cette histoire de mâles aventuriers. Que, d’après l’agent Millesoupirs (à qui je mettrai un coup de boule à la sortie), je recrutais pour mon propre compte à des fins ludiques, mes derniers partenaires de tennis séjournant tous en revalidation.

 

Ainsi démasquée et mimant, le feu aux nattes, un fin feint repentir, j’invitai la belle et pure Ana à venir admirer les petits légumes frémissants. Fut-ce le fait des jeunes carottes se colorant dans la poêle ou le poisson tendre développant ses arômes dans le beurre frais ou les boucles brunes du cuisinier ou encore le verre d’excellent Gigondas dont la patronne avait le secret, mais la magie opéra. Peu à peu, ses rides s’effacèrent au profit d’une petite lueur, toute petite mais combien rare, de satisfaction dans ses prunelles d’acier.

 

Nous avions fauté. Les Michemolle étaient enterrées, plus molles que vives, et nous avions été chassés par le gardien du cimetière à l’heure où tous les chats sont le naturel, il revient au galop. Nous n’aurions pas dû nous munir de ces huit bouteilles de saké ni entonner ces chants de guerre. Mais ce qui est fait est fait et cette nuit-là, aucune goule molle n’imprima ses pas dans les allées du cimetière d’Ixelles. Pas cette nuit-là, non …

 

Tout ça n’était qu’enfantillage. Amen. Nous voici pardonnés, pour le coup.

Ayant reçu l’absolution, il nous est permis de déguster notre expresso après avoir défait un cran de notre ceinture.

Le repas s’est montré à la hauteur des faits reprochés.

Espérons que notre prochain procès n’ait pas lieu à la cantine du coin, sinon nous n’aurons qu’à prendre la porte et comme dans les cantines du coin, elle est souvent en méchant bois écaillé, cela n’en vaut vraiment pas la peine !

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53

  

Comme il vous plaira

Rue Marché au Charbon, 5

1000 Bruxelles

Tél : 02 513 06 33

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