Episode 31 : « Tribeca »

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Tribeca

 

A vrai dire, je ne sais pas si je suis vraiment d’humeur à affronter le repas de ce soir.

La dernière semaine fut dure. Eprouvante. Sans rêve car sans repos. Et sans le repos du guerrier, on ne peut compter que sur ses réserves et sur un anti-cernes de course pour affronter les vices et situdes de la vie. Comme mon anti-cernes est sur la réserve, me voilà belle. Et j’ai juste envie d’enfiler un slip en coton marqué « mercredi », mon 501, un gros pull et une vieille paire de bottes pour me rendre au rendez-vous.

 

Mais je n’en fais rien.

J’opte pour La Perla, les bas, la soie, le mascara, mon beretta, et tout le tralala qui fait de moi, l’espionne accomplie que l’on supplie.

Pour Axo, la tâche fut moins facile. Ayant pris possession de lui dans un état déplorable, j’avais dû me résoudre à brûler ses malheureuses frusques. L’odeur émanant de ses nippes, qui avant leur immolation ressemblait à la sueur d’un renard pris au piège, avait transformé, au fil des braises,  mon intérieur coquet en une cour de ferme, un jour d’épandage.

Discernant mal l’individu dénudé de sens à travers l’épaisse fumée, j’obtins cependant ses mensurations à l’aide de mes deux mains et de mes dix doigts.

La seule solution était le recours au plan Q.  A savoir le recours au QG-dans-mon-grenier-plein-de-vieilleries-que-je-ne-veux-pas-jeter de l’agent Millesoupirs.

 

C’est ainsi que la main reposant sur le bras d’Axo, joliment vêtu du smoking de mariage de mon ami, accusant quatre tailles de moins que son actuel costume en poils d’ours, je franchis la porte cochère de la maison de maître faisant claquer mes talons dans le hall d’entrée gigantesque.

Son look Vintage, assorti à mon élégance naturelle, s’accorde à merveille au charme de l’endroit, grandiose sans être prétentieux, majestueux sans être étouffant selon les termes de la publicité parvenue au bureau. Faisant bon cœur contre mauvaise formule, je laisse au vestiaire mon mouton détourné et mes préjugés et progresse à travers l’atmosphère feutrée du restaurant vers la table où 53 bis et La Fraude nous attendent.

 

Toussotant légèrement afin d’attirer l’attention de nos convives, s’encanaillant à pleines muqueuses en dépit des convenances, je prends place, ainsi qu’Axo, dont je menotte les chevilles par souci de prudence.

Si ma semaine fut ce quelle fut, c’est qu’après le sauvetage du Rugantino, n’écoutant que mon devoir, je pris sous mon sein et à dessein cette pauvre épave, déterminée que j’étais à en tirer un maximum d’informations, dut-il laisser ses dernières forces dans la bagarre.

 

Abandonnant les présentations pour jouir de l’éclatant sourire de la charmante serveuse désireuse de nous servir d’apéritif, nous entamons la partie avant même la coupe rose de bienvenue.

Les renseignements obtenus au cours de longues séances d’interrogatoire menées à toute heure du jour ou de la nuit durant la semaine infernale, avaient été confiés à notre chef des archives afin qu’il vérifie leur authenticité et nous permette une analyse incohérente de la situation.

 

Il s’avère donc que le bel Axo, il faut souligner que les quelques jours passés dans mon antre lui ont rendu une certaine prestance, avait posé le pied sur un nid de vipères en s’emparant de …

 

C’est de notoriété publique, un homme est incapable de faire deux choses à la fois et cette conversation s’arrête au moment d’amorcer un virage décisif et au milieu duquel il nous faut garder l’église, car se silhouette, dans la lumière tamisée, l’éclatant sourire sus-mentionné, tout en bras lourds des mets commandés et en jambes légères.

Les assiettes que cette créature dispose sur nos sets immaculés sont artistiquement dressées et prometteuses des données contenues dans l’énoncé du problème.

 

… du plan révolutionnaire d’un sous-marin propulsé à l’énergie solaire. Jamais, il n’aurait imaginé que les 53 chiffres griffonnés dans la marge, allaient changer sa vie. Essayant toutes les combinaisons possibles, tant en nylon qu’en dentelle, il avait découvert le code d’un coffre dissimulé dans le grille-pain de l’inventeur. Et mis la main sur une carte à moitié consumée indiquant l’emplacement d’un trésor …

 

Conscients que nous nous sommes retrouvés au restaurant et non pas à la gare, nous n’attendons pas le train suivant, ne disposant pas de l’horaire mais bien de deux couverts.

Ayant réservé une place dans l’Orient-Express plutôt que sur la ligne Charleroi-Bruxelles, nous pensions, à tort, qu’au faste du décor s’alliait l’enchantement du palais. Mais hélas, il n’en est rien et si la noix de veau, la selle d’agneau, les Saint-Jacques et le bar rivalisent de beauté dans la création, une fois hors de vue et soumis à l’épreuve de nos petites langues aiguisées, ils perdent jusqu’à l’intérêt d’avoir existé.

 

Il est vrai que la griserie provoquée par le récit ne fait qu’accroître la grisaille de nos papilles que nous laissons reposer, emportés dans le tumulte des aventures de notre narrateur poursuivi par plusieurs bandes rivales, elles aussi en quête du graal.

 

Il nous suffit d’un regard complice, à 53 bis et à moi, pour décider de nous lancer dans la partie. S’il sait se tenir, la Fraude nous servira d’estafette.

Quant à Axo, je me le garde pour la protection rapprochée.

Et si quelqu’un n’est pas d’accord, qu’il se taise.

 

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Tribeca

Avenue Louise, 412

1050 Bruxelles

Tél : 02 6474707

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