Episode 37 : « Eetcafé De Rinck »

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Eetcafé De Rinck

 

« Ma Soeur, vite, un seau, un sac, une urne, une vasque, un réceptacle, ça recommence ! »

 

De nous tous, le major Depris semblait le plus pris. Il faisait peine à voir, livide, la moustache en berne, le pourpoint décoré de vilaines taches. Dans sa blouse d’opéré, il ressemblait plus à la créature des marais qu’à un fier représentant des Services Secrets, les dits services se limitant à la portion grenue car restait juste sur pieds, Arturo Vidol, notre sauveur.

Dans la salle commune, ceux qui avaient encore la force de parler, évoquaient l’attentat, les autres qui n’en avaient plus la force, criaient à l’hécatombe se souvenant des regrettées Michemolle, les derniers enfin tentaient le repos, la tête enfouie sous l’oreiller, dans la position de l’agonie.

 

Qui aurait pu croire qu’un organe aussi vigoureux que le nôtre puisse être anéanti d’un coup de fourchette masqué ?

 

Nous venions juste d’atterrir d’un vol de Pékin qui s’était déroulé dans la bonne humeur, Millesoupirs ne ménageant pas ses efforts pour faire rire les maîtresses de l’air. Se bridant les yeux à la Michel Leeb, il leur avait fait le coup de l’insecte qui rampe jusqu’à ce que le commandant himself lui ordonne de s’asseoir, de la boucler ainsi que sa ceinture. A notre grand dam car ce n’est pas tous les jours qu’un passager se colle une boule de Geisha dans chaque joue pour trépigner dans l’allée, ventre à terre, en agitant la tête en tous sens. La bête en lui enfin calmée, il avait piqué du nez sur mon épaule, justifiant la ceinture par de violentes turbulences qui auraient pu se montrer fatales si je n’avais glissé entre ses incisives la petite ficelle empêchant les boules d’être propulsées dans le trou du dimanche par ses puissants ronflements.

Il faut dire que notre séjour en Chine, s’était montré particulièrement épuisant. Nous avions été détournés de nos fonctions d’espions au profit de celles de garde du corps défendant par le ministre des Affaires Etranges, en mission pékinoise avec sa secrétaire, pour y rencontrer son homogène asiatique.

Afin de commenter son résultat au dernier test de Poisson de Lune, version chinoise de notre Fille d’Aujourd’hui. C’est du moins ce que fit croire le ronfleur rampant à ses acolytes anonniques.  Que le major Depris, premier prix de Pictionnary et l’adjudant Tellière, lauréat du concours de scoubidou d’Aiseau-Presles, avalent cette vessie, n’avait rien d’incroyable. Le reste de la troupe, n’ayant pas l’habitude de prendre des lanternes pour des couleuvres, n’ignorait pas que l’entrevue avait lieu entre les deux grands hommes et non pas leur point faible.

Nous ignorâmes ce qui se dit en ce sommet hystérique, Arturo Vidol ayant été le seul témoin de la discussion pendant que l’on nous servait un frugal repas en cuisine. Le canard laqué brillait autant que les dents du chef et bien qu’étant succulent, il me semble, après réflexion, qu’il tenait plus du gallinacé rescapé que du vilain petit palmipède. Aller en Chine manger du poulet, en voilà une mission pour les braves !

 

De retour sur le territoire, les choses se compliquèrent. Monsieur le Ministre, distrait par des échanges d’amabilité avec Madame sa Secrétaire, avait remis à nos chauffeurs l’ordre de nous déposer place de la Vaillance. Or, il y a bien longtemps que le passage dérobé de l’Eglise Saint Guidon vers nos bureaux a été comblé par des noyaux de cerises sous la menace d’un éboulement.

Nous fûmes donc place de la Vaillance, un peu perdus et affamés après ces péripéties.

Nous avisâmes la seule enseigne éclairée et nous en franchîmes l’huis, le cœur bondissant d’espoir.

Les tables de bois ressemblaient à s’y méprendre à des tables de bois. Le patron à s’y méprendre à un patron. Et le spaghetti bolognaise à s’y méprendre à un spaghetti bolognaise.

Jusqu’à la première bouchée.

Il est parfois difficile de faire la part des choses mais il est clair qu’une pâte trop cuite a une fâcheuse tendance à se regrouper avec ses congénères, qu’une sauce ratée se verra saturée d’épices pour en changer le goût et que le tout peut parfois prendre des allures de cauchemar.

 

Nous re-fûmes donc place de la Vaillance.

Plus pour longtemps.

Car défaillant les uns après les autres, nous nous allongeâmes sur le pavé sans penser à éviter les fientes de pigeons.

Seul debout au milieu du champ de bataille, le colonel, ayant boudé le repas pour cause d’oesophagite chronique, s’arma de son bras long et de son gsm. Pour nous prendre le pouls d’abord, ensuite pour faire rouvrir la salle commune de l’ancienne Clinique Sainte Anne afin de nous admettre en urgence.

Il dut être beau le balai des deux sœurs en cornette, sorties de leur lit et de leur hospice afin de nous venir en aide, accourrant dans un tintamarre de clés et de compresses vers les valeureux tombés au combat.

 

Nous fûmes donc place de la Vaillance, le temps qu’il fallut.

Soignés et dorlotés par les dévouées religieuses, les joues roses d’avoir repris du service.

Le temps s’écoula doucement, les forces revinrent et nous passâmes des jours heureux blottis dans notre havre.

 

L’ancienne Clinique Sainte Anne se trouve place de la Vaillance, ce eetcafé aussi.

La première a fermé ses portes pour toujours au profit d’une nouvelle aventure.

Le second malheureusement pas encore. Sauvé par le bénéfice d’un doute procuré par un poulet laqué.

Hélas, dans la vie, ce ne sont pas toujours les gentils qui triomphent.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Eetcafé De Rinck,

Place de la Vaillance, 6.

1070 Anderlecht.

Tél 02/521 28 46

 

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