Episode 41 : « Le Loui »

 

 

Le Loui

 

Certains se sont dits que j’étais morte.

 

Ce fut le cas d’Anathème Moanonplu, espionne camerounaise croisée à un cours de balistique durant l’année 2003  (année du démarrage de mon puzzle de Brad Pitt sous la douche, commencé le 30 septembre 2003, responsable de deux ulcères gastriques, d’un eczéma du poignet et incomplet de 5 pièces primordiales avalées par le chat), de Wesley Rance, un vieil ennemi d’enfance au teint cireux, d’Igor Gasme que j’aimerais revoir, de Pablito Paz à qui je dois la recette de la Margarita, de Vlad Patres à qui je dois la recette du Molotof, de l’adjudant Tellière à qui je dois 10 euros et de ma supérieure acrobatique Ana Mirena à qui je dois montrer mes trous.

 

Certains se sont dits cela mais il n’en est rien.

Je suis là et bien là, resplendissante et prête à reprendre du service après ces semaines de congés égaux.

Institution au sein de notre bureau, le nombre de jours de congé égaux se calcule sur les doigts de la main et au moyen d’une fiche perforée. Par ennemi abattu, un trou, par réseau démantelé, trois trous, par blessure reçue, deux trous pour les organes nobles, un demi pour les bas morceaux, puisqu’un foie, deux reins sont trois bonnes raisons d’utiliser la baïonnette. Et j’en avais fait bon usage !

 

Un Millesoupirs exalté attendait devant ma porte, la boucle en cœur et les oreilles flairant bon la savonnette. En l’absence de ma supérieure cataclysmique, en congé égal, et du colonel parti soigner sa libido, il avait pris sur ses frêles épaules la direction des opérations.

 

J’eus beau prétexter la migraine et quémander une reprise en douceur, la petite lueur ludique qui vacillait dans ses prunelles comme une bougie dans une citrouille, me fit comprendre qu’il valait mieux me soumettre. Et subir les assauts de son engin de la mort. Malgré mon appréhension, c’est avec infiniment de grâce que je m’encastrai dans son pocket roadster, alors qu’il se laissait tomber lourdement derrière le volant.

Chemin faisant, il me dressa un topo incompréhensible, attachant plus d’attention à maintenir ses roues gauches dans le rail du tram qu’à me décrire la situation. Satisfait de son petit willing urbain, il confia sa matchbox au voiturier, lui lançant les clés dans un geste à la Belmondo, plus probant en veste de cuir qu’en peau d’ours.

 

Le Loui, lui aussi, s’était rasé de près et sentait bon l’eau de Cologne. Accueilli avec componction par un maître d’hôtel maniéré, nous prîmes place dans un vaste salon aux coussins rebondis.

Ne dis rien et tais-toi, m’enjoignit le pilote de rallye, sous peu, les choses vont se corser. Joignant le geste à la parole et sortant du talon de ma botte, du fil blanc et une aiguille, je fis bouche cousue. En fait de se corser, la sauce avait du mal à prendre et l’ours jetait des regards circulaires, circonspects et circonvenus par-dessus son épaule. Gardant un calme simulé, je résistai à de similaires coups d’œil circonscris et m’abîmai dans une réflexion circonstanciée. M’avait-il traînée dans cet endroit uniquement pour faire valoir ses talents automobiles ? De retour de vacances, je tenais à justifier mon salaire horriblement élevé par autre chose que la dégustation d’un campari au faux vrai jus d’orange !

 

Au moment de passer à table, la charmante scène constituée par nos voisins convives me redonna du cœur au ventre.

En effet, la salle ressemblait à un tableau d’Agatha Christie si ce n’était à un roman  de Léonard de Vinci.

 

Au centre de la pièce, un lustre grandiose apportait à la décoration loungement actuelle une petite note surannée. Sous le lustre et probablement sortis d’une ruelle napolitaine, quatre hommes aux cheveux de jais et à la veste rayée entrebâillée sur un objet noir brillant, enroulaient des tagliolini frais aux asperges entre deux syllabes rocailleuses.

A droite, un groupe disparate discutait des mérites d’un pseudo médicament. Un petit individu hautement suspect et revêtu d’un costume du dimanche menait la conversation codée, usant avec éloquence de termes savants. Sous le couvert d’activités médicales, un deal s’organisait.

A gauche, deux hommes venaient de tendre leur pardessus gris et leur feutre mou au maître d’hôtel. A leur côté, une créature sulfureuse jetait des volutes de son fume-cigarette en nacre.

 

Je dardai sur Millesoupirs des yeux clignotant d’alarmes sonores. Mais le brave était plongé dans la carte des eaux, pataugeant parmi les grands crus minéraux, tout à fait imperméable à mes avertissements.

Le sashimi de thon rouge, bien que péchant par manque d’originalité, tenait toutes ses promesses. Ainsi que le bar de ligne, ses aubergines et son jambon serrano. Ce ne fut pas le cas de l’ours des villes passé sur le grill et saupoudré de piments frais. Il se révéla incapable de répondre à mes attentes.

Arrivé à point, le parfait glacé de céleri, tequila et citron vert eut enfin le mérite de lui rendre vie et don de la parole.

Misère de malheur, point de mission, point d’action, point de rencontre secrète, point de balles qui sifflent  ! Il ne m’avait conviée ici que pour me parler de sa naine qui avait réussi l’examen d’entrée au GIGN. Gonflant de fierté et coulant de verve, il m’expliqua combien la face du monde allait changer depuis que la gosse avait rejoint le Gang Imaginaires des Gamines Niaises.

 

Espions de tous pays, tendez vos mains meurtries.

Jetez vos armes, faites du monde un paradis car lorsque la joie couvrira ses prières, vous aurez droit à votre éternité !

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Le Loui

Avenue Louise, 77

1050 Bruxelles

Tél : 02 542 47 77

 

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