Episode 42 : « Comocomo »

 

 

Comocomo

 

L’aurait-on cru mais la divine Mirena et le bel Vidol nous manquaient. Même la Fraude, ses hésitations menstruelles et ses trahisons périodiques qui alimentaient les cancans des jours de pluie à ne pas mettre un espion dehors, se faisait regretter.
Mais ça c’était hier.
Au temps où nous étions jeunes et cons. Aujourd’hui, nous sommes vieux et fous. Et responsables d’une 53 bis, qui depuis son enlèvement, n’est plus que l’ombre d’elle-même, un bon cinquante-trois centimètres au garrot les matins de soleil contre seulement quarante, les épaules basses et l’horizon à hauteur de caniveau quand elle a oublié son anti-dépresseur.

Voilà maintenant trois mois que nous étions livrés à nous-mêmes. Ana et Arturo ayant joint leur destin dans une périlleuse et longue mission pour laquelle nous avions reçu ordre de ne pas nous emmêler. Chose j’évitais avec beaucoup de jugeotte, car l’emmêlement avec un ours mettait toujours plein de poils sur ma jupe et je détestais ça !
Il n’y avait plus rien à comprendre, rien à chercher, rien à trouver, rien que nous au monde.
Et puisqu’il n’y avait que nous, rien que nous au monde, il était temps de recruter.
L’affaire fut donc menée, la sélection se faisant sur base de petites annonces et des mensurations des candidats.
Au terme de cette première opération, nous avions réséqué tous les organes malades et conservé deux postulants au physique attrayant.
Le premier, Ash Pévée, était à la hauteur de la petite quand il se tenait droit et portait de jour comme de nuit des chaussures de hobbit et un pull ras du coup.
Le second, Ed de Cabidos dit le Naze, était de sexe masculin.
Comme le premier.
Ce qui facilitait les choses au niveau lingerie, les caleçons de travail d’Arturo et de la Fraude, étant juste rentrés du pressing.
Il arborait, lors de l’entretien d’embauche, un gilet à fleurs sur une chemise à carreaux, le tout emballé dans un costume jaune. Ce qui nous a d’emblée conquis.

Le test aurait lieu au restaurant car c’est en mangeant que les œufs se pèlent et que vient l’appétit.

En cette brume de Toussaint, le Comocomo affichait presque complet, seuls quelques tabourets dispersés se dressaient pour nous accueillir.
Nous arrivâmes tous les cinq au détroit externe du restaurant, le béret humble, en présentation céphalique et en position du cercle pour passer inaperçus.
Car au Comocomo, tout était rond. Les prix, les plats bombés et l’ovale du visage des serveurs. Ce qui permettait à un large sourire d’en déterminer le diamètre en se tendant d’une oreille à l’autre du côté opposé au cuir chevelu.

Au Comocomo, tout était rond et basque. Les pintxos sur leurs assiettes colorées déferlaient sur un tapis roulant aménagé au centre de la table. Sept couleurs pour sept sortes de pintxos. Autant de challenges à relever pour nos deux candidats.
Nous prîmes place en cinq points de la salle, reliés par les yeux et par la circulation des espagnoles effluves.
L’examen était déroutant de facilité.
Nous avions opté pour un test de maniabilité et de discrétion dans un décor dénué de toute agressivité, tel que l’était celui de l’endroit, sobre, minimal, sa blancheur étant relevée par le bois du mobilier et l’arc-en-ciel des mets.
Il s’agissait pour nos futurs éventuels collègues d’assembler une arme démontée et dissimulée dans sept assiettes de couleur différente, chaque pièce remplaçant astucieusement la nourriture sur l’assiette remise en circuit. La séquence d’arrivée des composants était déterminée par une simple équation du 53e degré dont la connaissance était indispensable à ce niveau de professionnalisme.
Une culasse de colt python vint remplacer sur une assiette jaune, un délicieux pintxo au manchego, son canon, des champignons à l’huile à la truffe, sa gâchette, une succulente brochette de bœuf argentin, une balle, une tortilla aux piments basques. Tout aurait été pour le mieux si Millesoupirs ne s’était pas senti, pour une fois, d’humeur facétieuse. Ce n’était pas vraiment nécessaire de mélanger des pièces de colt anaconda au python et de derringer au ruger redhawk. On se serait juste contentés d’une dizaine de pintxos et tout le monde y aurait trouvé son compte. Au lieu de quoi, tout y est passé, de la petite côte d’agneau au filet de canard à la marmelade de tomates en alternant par les œufs sur le plat et le riz con leche.
Au terme de 53 assiettes empilées devant nos yeux et d’un nombre identique de verres de txakoli et de cidre des asturies servis le bras levé en statue de la liberté, force nous fut de constater que le chef abruti de fatigue s’endormait sur ses fourneaux et que la salle ne résonnait plus que du bruit de nos mâchoires.
Ash Pévée et le Naze s’étaient rapprochés pour trinquer et exhibaient fièrement ce qui ressemblait à une sorte de lego pour 14 ans et plus dont on aurait perdu les plans de construction.

Ah, la table fut bien bonne avec nous mais ce n’est pas demain la veille que ces deux-là nous prêteront main forte !
Quoiqu’à défaut de perles, on mange des grives.
Et après tout, ce sont peut-être ces oiseaux-là qui nous permettront de passer l’ibère.

Bons baisers de partout.

Agent 53.

Comocomo
Rue Dansaert, 19
1000 Bruxelles
Tél : 02 503 03 30

 

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