Auberge St-Martin
J’ai bien cru que l’agent 53 bis ne pourrait jamais se remettre mais au bout de deux semaines d’hébétude, elle fut de nouveau sur pied de poule.
Certes, elle avait pâli, perdu puis repris un kilo mais je retrouvais enfin ma pocket spy, le front haut, le menton fier et le sein arrogant. Ah, comme j’aimais ça ! Pour peu, on aurait dit moi, dans mon jeune temps, au retour triomphal d’une mission triomphante, quand devant la glace et dans la plus stricte intimité, je ceignais mon front d’une couronne de lauriers méritée.
Un événement important s’était produit au bureau m’empêchant de mener à bien la moindre mission. La mise à pied, pied de cochon, cochon de ferme, du félon La Fraude fut décidée modifiant la cinétique de notre petite entreprise. En effet, preuve était faite de la part active que le malhonnête avait prise dans l’abominable rapt dupant la pauvre enfant afin de profiter de sa personne dans des circonstances obscures et liées à un probable marché noir de somnifères avant de l’abandonner à un réseau de constitution slave.
J’étais occupée à épiler quelques poils rebelles quand un message me parvient. Nos collègues français avaient repéré un point noir à Kientzheim. Après passage au sérum de chasteté, la missive codée révéla qu’aurait lieu la nuit prochaine en Alsace, un largage de bombes miniatures d’une puissance effroyable. Et ce à minuit précise, au point G du petit village. Elles étaient contenues dans des boîtes de bonbons des Vosges et l’avenir de la planète était en jeu. Tout cela contenu en une phrase anodine.
Décidant que c’était le moment ou jamais de remettre la traumatisée en selle, je l’emmenai de force avec moi dans la course contre la montre.
Notre contact nous attendait à l’Auberge Saint Martin, sympathique établissement où nous pûmes reprendre vie après la route et avant l’affrontement.
Phileas Blancas était une force rude de la nature. Gamin des champs, il s’était trouvé une passion de démineur en culottes courtes en sillonnant le vignoble en quête de grenades de la seconde guerre mondiale. A l’âge de 10 ans, il fut décoré du mérite agricole pour avoir découvert 53 fois son poids en mines diverses, protégeant ainsi la vigne de la pire des calamités.
Pour tromper l’attente, Phileas, qui mangeait maintenant 53 fois son poids en flammekueches en l’espace d’un mois, s’était déjà attelé à la tâche. A sa mine joviale, malgré la mission périlleuse, on pouvait déduire que le robuste personnage avait déjà bien entamé son quota menstruel.
Nous ne pûmes qu’admettre que jamais nous n’avions dégusté pareil délice. Dégoulinantes de crème aigre, de lardons croquants, d’oignons émincées et accompagnées d’un merveilleux Pinot Noir 1993 du domaine Blanck, elles faillirent nous faire oublier l’heure fatidique. Il faut dire qu’en plus de la succession folle des tartes léchées par la flamme, l’accueil des deux patronnes fut inoubliable. Jolies femmes énergiques ne ménageant pas leur effort, elles avaient, outre la particularité d’être d’une gentillesse incroyable, celle d’être parfaitement identiques, en vraies jumelles qu’elles étaient. A tel point qu’on ne savait plus si l’on devait multiplier ou diviser par deux le nombre de quartiers engloutis avant de se dire qu’il était temps d’y aller.
Ragaillardies et pilotées par l’homme du grand cru, nous prîmes la direction du Furstentum, où la partie devait se jouer.
Parvenus dans la vallée du Kaysersberg, nous abandonnâmes notre véhicule, préférant couper à pied par le vignoble afin de surprendre nos adversaires par surprise.
Minuit moins dix. Aucune trace de l’ennemi. Me voyant grelotter, Blancas me couvre les épaules d’une veste arrivant juste à point mais presque jusqu’aux genoux. Dans le silence, l’attente et la veste pèsent. Je prie le ciel que quelque chose se passe sous peine de voir notre hôte, souffrant d’une propension à la causerie assez développée, nous conter en détail l’histoire des cailloux de la région.
Un vrombissement. Dans la pâle clarté lunaire, se profile un biplan. Une centaine de mètres devant nous, une fusée éclairante illumine le vignoble nous indiquant la cachette de l’adversaire et déjà les bonbons des Vosges s’échappent de la carlingue. Trop loin pour que nous les interceptions les premiers.
D’un regard circulaire jeté à 360 degrés centilitres, j’aperçois notre sauveur. Garé sur le bas côté, un tracteur enjambeur nous attend. Le temps d’y penser, je prends d’assaut l’engin tandis que 53 bis se plaque sur la jambe gauche. Filant plein pot entre les rangées de Riesling, nous avons vite fait de nous placer à distance de tir. Il y a deux individus. Tirant sans discontinuer, la petite manque cependant ses proies, m’obligeant à lâcher le volant pour lui prêter main forte. Je ne rencontre hélas pas plus de succès et bientôt, la culasse de mon Glock résonne contre le vide de l’absence de munitions manquantes.
Faisant alors les poches de mon bon samaritain, je découvre un petit Uzi des vignes, modèle dont la poignée en forme de cep s’articule parfaitement dans ma menotte. D’une rafale, une seule, tirée sous la ceinture, je viens à bout des deux hommes.
Toujours vivants mais en bien triste état, ils gisent maintenant dans un foudre vide, raclant le tartre de leurs ongles meurtris.
Nous déciderons de leur sort plus tard, car ici, dans la cave, il y a quelques bouteilles de Schlossberg qui ne demandent qu’à être de la fête et foi d’espionne, il n’a pas meilleure occasion de les déguster que le front ceint d’une couronne de laurier.
Bons baisers de partout.
Agent 53.
Auberge St-Martin
80, rue de la Liberté
67 600 Kintzheim
Tél : 0033 3 88 82 04 78