Episode 24 : « Hong Kong (suite) »

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Hong Kong Express.

 

…suite

 

Le filet de bœuf à la sauce d’huîtres crépitant dans son plat arrive à point pour combler mon manque d’inspiration.

Iï, ce minable boueux, dégoulinait sur mes escarpins et un léger ronflement ainsi qu’un mouvement ascensionnel régulier de la nappe indiquaient que la fatigue avait eu raison de ses dernières forces.

Usant de tout mon charme, mastiquant le bœuf trop cuit langoureusement, veillant à ce que les effluves de la sauce lui enchantent les narines, j’allais parvenir  à persuader Totole de mon innocence quand une voix bien connue me fit sursauter.

 

Millesoupirs ! Mais que diantre faisait-il ici ? C’était son soir de couillon pourtant.

Cette arrivée ne me seyait pas du tout. Dans cette affaire, je jouais cavalier seul, même mon inénarrable 53 bis ignorait tout de mes activités nocturnes.

 

Il ne fallait pas que cet ours me voie en compagnie du gorille.

Ne lui laissant pas le temps de s’essuyer la bouche, c’est les lèvres encore brillantes de jus que je le force à se lever et à me suivre vers les toilettes. Interpellé par mes façons directes, il ne parvient pas à retenir un soupir de déception quand je lui explique la raison de notre présence en ces lieux. Dans un chuchotement désarmant de franchise, je lui avoue que la personne qui vient d’entrer n’est autre que mon mari. Un mari jaloux, persuadé que je le trompe avec le premier venu pour autant qu’il porte des caleçons Armani et qu’il ait de jolies mains. Contemplant ses mains, Totole compatit et promet de rester sage comme une image le temps qu’il faudra.

 

Au lieu de regagner ma place, je passe à l’attaque. Et je m’octroie le suprême plaisir d’une petite scène, histoire de déverser mon trop plein d’émotions sur un pauvre Millesoupirs qui se ratatine dans sa peau devenue soudain trop grande. Il m’avait suivie jusqu’ici, après avoir perdu plusieurs fois ma trace, distrait par les résultats du foot à la radio, puis avait reconnu ma voiture garée sur la place. Pourquoi ? Parce que 53 bis l’avait inquiété. Ayant surpris mes échanges téléphoniques, elle en avait conclu que cette nuit allait être chaude !

 

Allons bon, le brave homme ne sait rien de plus. Décidant de le brosser dans le sens du poil, je le rassure et pour lui faire comprendre que son inquiétude me flatte, je nous commande son plat favori : le canard laqué.

 

La serveuse s’en étant allée, probablement prêter main forte au chef pour tenir la bête pendant qu’il la laquait, et surtout lui raconter que depuis peu les hommes se volatilisent dans le restaurant, je mets à profit ce petit intermède pour évaluer les possibilités de tirer mon épingle du jeu pendant que mon ami babille aimablement.

 

Il n’a le temps de se délecter que de neuf petites tranches de viande et d’autant de petites crêpes roulées qu’un courant d’air soudain me fait frissonner, annonçant l’arrivée bruyante de deux individus aux mines vestibulaires.

Volant à mon secours, notre vigilante hôtesse interpose entre notre table et leur regard ses yeux de jais et son mètre cinquante, étonnée de voir autant de passage sur son territoire un morne soir de semaine.

 

Les deux mines mandibulaires ne sont autres que les tireurs embusqués dans la maison déserte. Il n’y a pas une minute à perdre, et n’en perdant pas une, je quitte furtivement ma chaise pour gagner la tenture la plus proche.

D’où je peux apprécier tout le self-contrôle d’un Millesoupirs affichant une bonhomie plus vraie que nature, terminant son canard laqué en ignorant superbement les questions des deux hommes de main.

 

C’est alors que la petite, si calme jusqu’à présent, se met à hurler. Un horrible hurlement en manchou, dialecte dont je possède une connaissance assez approfondie, et qui, à peu de choses près, signifie en français courant qu’elle en a sa claque de tout ce cirque et que si y veulent pas manger, y s’ont qu’à s’casser !

Sa transe est si impressionnante que, même armés jusqu’aux dents et des pires intentions, ils détalent comme des lièvres.

 

Sortant de ma tenture, je joue les ingénues, m’enquérant de la raison de ces cris que j’avais entendus alors que j’étais sortie prendre un peu l’air, incommodée par l’odeur de la laque.

Jouant les ingénus, le plantigrade bougonne un « c’était rien » du fond de sa poche ventrale à canard et me fait savoir qu’il doit y aller, qu’on l’attend pour le couillon.

 

L’ours dûment baisé sur le front et à peine parti, je file aux toilettes retrouver mon garde du corps, qui comme promis, se tient sage comme une image, assoupi contre le lavabo. Le réveillant à grands jets d’eau froide, je l’exhorte à foncer au plus vite, car la vie de son patron est en danger. Me saluant en claquant les talons, il les tourne et sans un aboiement, en bon chien de garde, s’encourre au secours de son maître.

 

Il n’en reste plus qu’un. La boue a séché sur ses joues, un léger filet de bave luit sur son menton, et dans son sommeil, il serre contre son sein, une pochette de cuir fauve. Le réveillant d’une main douce, je le redresse, écarte ses petits bras pour recueillir le fruit de ma quête et lui remets les quelques trésors pour lesquels il a pris autant de risques. L’assurant qu’il peut compter sur moi pour avoir la peau de son ennemi juré, je le pousse gentiment vers la sortie.

 

Il ne me reste qu’à payer et à remercier la volcanique serveuse.

L’addition est légère, mon cœur aussi et je pense que cette nuit, pour une fois, je dormirai du sommeil du juste et du travail bien fait.

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

Hong Kong Express

75, rue de Bruxelles

7850 Enghien

Tél : 02 395 58 88 

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