Episode 23 : « Hong Kong Express »

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Hong Kong Express

 

L’affaire s’était révélée bien plus délicate que je ne l’avais prévue.

Cela s’était très mal passé et la transaction avait tourné en eau de boudin en un temps trois mouvements. Premier temps : chauffer l’eau. Premier mouvement : plonger les boudins. Second : ressortir les boudins. Troisième : garder l’eau.

 

J’étais parvenue à négocier l’échange de preuves accablées permettant de démanteler le réseau bruxellois de la mafia russe contre un lot de vinyles de Gilbert Bécaud, incluant une version inédite de «  Nathalie, mon guide, Naaathaalie », le code génétique de l’hormone de croissance de l’esturgeon femelle et la traduction de « Guerre et Paix » en borain.

Mon contact, frère de la sœur du garde du corps du chef Vladimir Ador, vouait une haine terrible à ce dernier, depuis que Mimir, pour les intimes, l’avait battu en finale d’un tournoi de Mictionnary, jeu dégoûtant et dont l’énoncé des règles n’apporte aucun élément intéressant à la suite des évènements.  

Grâce à son frère Anatole, Totole pour les dames, garde du corps d’élite, il avait eu accès à des informations capiteuses et aveuglé par la colère, il n’eut de cesse de trouver l’allié ou la liée qui lui permettrait de faire taire à jamais son ennemi juré, Mimir !

Et nous nous sommes donc trouvés.

 

Et retrouvés dans une maison en rénovation, perdue en pleins champs et plein coin perdu de brabant flamand.

Fan polyvalent de Bécaud, de Tolstoï et de James Bond, le traître souhaitait faire l’échange dans un endroit discret, lugubre chantier, entre les sacs de sable et les canettes de bière vides.

Au moment où nous allions conclure, une voix sinistre se fit entendre de derrière un mur en construction : « que personne y bouge et les mains en l’air ».

Nous avions été doublés.  

 

Souffrant d’une légère perforation du tympan suite à un exercice sauvage de tir, je ne pus qu’ignorer l’injonction et m’encourir, bredouille, sous le feu nourri de projectiles malveillants, renversant échelles et pots de peinture, pour retrouver le cuir réconfortant de mon cabriolet. Et m’envoler, à tire d’ailes, vers la ville la plus proche, sa grand-place et un havre que la providence plaça sur ma route cernée de bûches.

 

La porte vitrée du restaurant me permettant de vérifier l’intégrité de ma coiffure, d’où à peine deux cheveux dépassaient, c’est le front et le verbe hauts que je m’adresse à la petite personne souriante qui m’accueille.

 

Lui confirmant que conformément aux apparences réelles qui s’offrent à ses yeux, je suis seule, je me laisse conduire à une table du fond que je plonge dans une semi obscurité en dévissant quelques ampoules, signifiant aux dragons de faïence que la marchande de sable est passée.

 

Quelques kroepoek plus tard, la discrète jeune femme ayant glissé, évanescente sur ses pantoufles de soie, ma commande en cuisine et s’affairant à quelque vaisselle derrière le bar, se présente à l’huis, un individu boueux, la pommette turgescente, le front ceint d’un morceau de fil barbelé. Entre deux sanglots, il réussit à hoqueter la raison de sa venue : le 53, canard rôti aux légumes variés.

Je le reconnais au son de sa voix, le reste n’offrant que peu de ressemblance avec mon souvenir : mon contact ! Rien n’est perdu, si cet idiot a encore en sa possession les documents, l’échange peut se faire.

 

Captant son attention par un léger toussotement, je l’attire à ma table. Andréï, Iï pour les amis, semble choqué, je le ramène à la vie en l’éventant d’un 33 tours  tiré de mon sac à malice. Partageant généreusement mes hors d’œuvre maison, bien que déplorant que son choix se soit porté sur les dim sum à la vapeur qui ont ma préférence à moi, je le vois reprendre des couleurs et lui propose de ranger son fil barbelé dans son cartable.

Mais avant qu’il ait pu me confier les informations, la porte s’ouvre à nouveau et le ciel semble s’abattre sur les épaules de mon pusillanime convive. Je comprends de ses balbutiements que la personne qui discute avec notre gente serveuse n’est autre que Totole, son frère et garde du corps de Mimir, qui sous prétexte d’une envie urgente de 69, porc laqué, le traque.

Réalisant aux spasmes de Iï que, pour une raison obscure, il a peur de son grand frère, je le cache à mes pieds, sous la table, veillant à ce que les pans de la nappe soient bien rabattus.

 

Je fais bien, car le voilà qui s’avance vers moi. Se présente, je m’appelle Anatole, Totole pour les dames, et m’explique qu’il recherche son frère, suspect du vol de quelques babioles et une jolie jeune femme, à moitié folle avec qui affaires il devait faire. Fariboles, lui réponds-je, asseyez-vous et cessez de penser, cela vous rend tout mol. Ensuite, de riz, vous prendrez bien un bol.

 

A suivre …

 

 

Bons baisers de partout.

 

Agent 53.

 

 

Hong Kong Express

75, rue de Bruxelles

7850 Enghien

Tél : 02 395 58 88

 

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