Mais aussi à visage découvert …

 

Le docteur Derny, une vraie doctoresse, une spécialiste même puisqu’elle est gynécologue, est née le 8 juin. Il y a quelques années, ou plutôt quelques dizaines, parce que pour les filles on ne dit pas vraiment l’âge.

Le docteur Derny a de nombreuses passions dans la vie, en dehors de son beau métier.Ses fils pour commencer, Tristan et François sont les deux boulettes de son coeur. Depuis le deuxième volume du Goût des Belges, elle les nomme « midgets », pour comprendre, il vous faudra le lire.

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Hiroshima, mon amour

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Ma fille naquit le jour d’Hiroshima. Peu de temps après que la bombe n’éclate au-dessus de la ville japonaise et ne tue des milliers de personnes. Mon enfant a vu le jour au moment précis où des milliers de personnes l’ont vu s’embraser pour la dernière fois. 

Le médecin a fait brutalement irruption dans la salle d’accouchement, en proie à une grande agitation. Pourtant l’expulsion s’annonçait facile et la sage-femme connaissait son boulot. Le praticien avait poussé la porte avec fracas pour annoncer l’horreur. En un rien de temps et à l’unisson avec mon bébé qui poussait ses premiers cris, tout le monde a élevé la voix. Une bombe atomique ! Personne ne savait de quoi il s’agissait. Personne n’en avait jamais entendu parler. Nous savions seulement qu’il venait de survenir quelque chose d’atroce.Ils l’avaient appelée « little boy » et moi, je serrais très fort contre moi ma little girl, ma little girl que j’avais voulue belle et en bonne santé après toutes ces épreuves et Dieu merci, elle l’était, belle et en bonne santé, ma fille à moi. 

Dès l’été 1941, il ne fut plus question que je continue mes études d’infirmière. Cela ne constituait pas un problème car je ne ressentais aucune attraction irrépressible pour le sang et les plaies en tous genres. Je ne m'étais inscrite que sur l’ordre de ma mère, personne autoritaire, versatile et passionnée qui me maintenait dans une naïve obéissance mêlée de haine et d’amour. Moi, je voulais être pharmacienne, manipuler les fioles, jongler avec les produits, catalyser les réactions, savante émerveillée dans l’arrière-salle de mon officine.

Bien sûr, c’était avant la guerre et bien sûr, c’était avant que ma mère ne décide de faire de moi une digne descendante de Florence Nightingale.De toute façon, la situation économique de la famille ne le permettant pas, je fus sommée de trouver du travail. Ce que je fis docilement.

Depuis le début de la guerre, mon père travaillait en Allemagne pour les usines AEG. Ce qui donnait toute liberté à ma passionnée de mère d’aimer à la folie puis de détester le jour suivant, son amant volage. Ma sœur cadette et moi ne disions rien. Jamais nous n’aurions osé. Il y avait des choses qui allaient de soi avec ma mère. Elle n’était que feu et moi, parfois, je ne me sentais que glace. Je ne garde de cette époque que des souvenirs épars. Mon père travaillait à Berlin, ma mère s’enflammait pour de mauvaises causes, nous étions occupés par les Allemands et moi, je flottais sur cette vague bizarre sans savoir où j’allais m’échouer et sans même prendre la peine de me le demander. 

Dès l’été 1941, il fut donc question que je mette du beurre dans les épinards. A la commune de Jemappes, on engageait. Il me fut facile de réussir les examens provinciaux et pour entrer dans les faveurs du bourgmestre rexiste, l’adhésion au parti ne m’apparut qu’être une formalité parmi les autres. Quelle importance ? Après tout, quand j’étais petite, ma mère s’était, comme tant d’autres, laissée gagner par la verve d’un Degrelle dont j’entendais rugir les phrases incompréhensibles lorsqu’elle me traînait dans son sillage aux meetings. Je pris donc à la fois une carte du parti et mon poste au sein de l’administration communale. De ce travail aussi, je n’ai plus en mémoire que des bribes floues de moments banals de la vie d’une fonctionnaire.  

Tout se précipita en 1944. Le débarquement. La débâcle allemande. La panique du pouvoir communal dont les sympathies n’étaient plus dans l’air du temps. Que savais-je des V2, de ces armes allemandes secrètes ? Qu’en savions-nous ? Car je n’étais pas la seule, ce jour-là, à être secrètement convoquée par le bourgmestre et à entendre que nous allions partir pour l’Allemagne le soir même et ce jusqu’à nouvel ordre. Ce qui en clair signifiait jusqu’à ce que les Allemands gagnent la guerre à l’aide de ces fameux missiles !

Aujourd’hui, plus de 60 ans plus tard, je suis toujours incapable de dire ce qui m’est passé par la tête. J’ai suivi. Comme si je n’avais aucune conviction personnelle. Comme s’il s’agissait d’une gentille aventure, de petites vacances pour moi qui n’en avais plus connues depuis belle lurette. J’ai fait ma valise. Deux manteaux, nous étions en septembre, trois robes, une paire de chaussures et quelques blouses. Le train était un omnibus et jusqu’à Fulda dans la Hesse, les avions n’ont cessé de nous survoler. Une fois sur place, nous avons vécu quelques jours comme des réfugiés, parqués dans de grands dortoirs. L’image me vient tout naturellement à l’esprit à l’heure où se bousculent sur nos écrans tous les réfugiés du monde. Nous étions des réfugiés. Réfugiés de quoi ? Je ne le savais pas vraiment. Je n’avais pas peur, moi qui maintenant me calfeutre au moindre coup de tonnerre. J’étais partie sans me poser de questions car ma mère m’avait dit de partir pour éviter les ennuis. J’étais partie avec les autres. J’étais en Allemagne avec les autres, prisonnière volontaire dans un camp puis placée dans une famille à Bad Münder dans le Hanovre.

Comme c’est étrange, cette absence de crainte, de vision de l’avenir. Je travaillais dans une fabrique de chaises. De future infirmière, pharmacienne contrariée, employée communale, j’étais devenue ouvrière. Je dormais sur un lit de paille et le soir, nous sortions à quelques-unes de l’usine dans une sorte de cabaret où se retrouvaient les convalescents du front russe.

Il y avait de la musique et des rires. Il y avait aussi un jeune homme de Mulhouse. Beau garçon, sympathique, se remettant d’une blessure au poumon avant de repartir au combat avec les autres « Malgré nous ». L’ai-je aimé ? Oui, sûrement. Je ne savais pas ce qu’était l’amour, je n’en avais connu que les querelles d’amoureux que se livraient ma mère et son amant. Oui, je crois que je l’ai aimé. Oh, pas bien longtemps mais en temps de guerre, chaque instant de bonheur vaut son pesant d’or et d’étincelles.

Il est venu me dire adieu le 1er novembre 1944. Et je ne l’ai jamais revu. Est-il mort au combat ? Est-il rentré chez lui ? A-t-il eu une femme, d’autres enfants ? Je n’en ai rien su et n’ai jamais cherché à le savoir. Il m’a rendue heureuse, m’a trouvée charmante dans ma vilaine robe de laine, pourquoi aurais-je remué ciel et terre pour le retrouver et lui imposer une famille au nom de ces quelques moments de félicité ?

J’ai compris à la Noël. Les nausées, l’absence de règles. Je n’ai pas eu peur et je n’ai jamais regretté. C’était trop tôt pour parler de joie mais déjà, je sentais que cette vie en moi changerait tout le cours de la mienne.  Je m’étais liée avec une autre jeune femme, compagne de galère au parcours similaire et embarquée comme moi dans une histoire qu’elle ne maîtrisait pas. A deux, nous étions plus fortes et nous ne redoutions rien de ce qu’il pourrait nous arriver. C’est du moins ce dont nous nous persuadions avec force. Un jour de janvier, nous reçûmes la visite de l’oncle de mon amie. Ce rexiste engagé en Russie détenait, selon ses dires, des informations capitales pour notre survie. Notre survie ? A vingt ans et au point où nous étions, tout était capital et rien ne l’était. Selon lui, les Allemands préparaient une grande offensive dans les Ardennes, bataille qu’ils gagneraient (à cette époque, l’Histoire n’était pas encore écrite) et nous pourrions rentrer chez nous sans crainte. Rentrer en Belgique, c’était trop beau pour être vrai ! Nous n’avions aucune nouvelle des nôtres.

Le voyage fut presque pire qu’à l’aller. Nous étions dissimulées sous des couvertures dans une automobile militaire fixée sur un train rempli de soldats allemands. Heureusement, mes nausées s’étaient estompées, comme quoi, il y ne faut jamais désespérer de rien !Hélas, nous n’avons jamais atteint la frontière rêvée. Le train ne dépassa pas Godesberg et avant le terminus, on nous invita galamment à descendre et à disparaître dans la nuit noire d’un endroit inconnu. Sur la place de la ville, nous avons déblayé la neige qui recouvrait un banc et nous sommes allongées l’une contre l’autre pour attendre le jour. Au matin, je me suis rendue à l’Hôtel de Ville pour chercher du travail. Je m’exprimais bien en allemand et de façon incroyable, nous avons immédiatement trouvé un emploi dans les cuisines d’un hôpital. Nous étions logées dans un château mais nous n’en menions pas la vie. Loin s’en faut ! Les poux et la gale peuvent en témoigner. Il ne me restait qu’une seule robe qui, après avoir subi un épouillage agressif et rétréci de 30 centimètres, peinait à recouvrir mon ventre arrondi.

Toutes les nuits, il y avait des bombardements et toutes les nuits, ma fille s’agitait en toute insouciance. J’ai toujours su que c’était une fille. Je ne pensais qu’à elle et à ce que nous allions devenir. Ah, comme je l’ai désirée, cette enfant. Qu’elle ait pu croire à différents moments de sa vie que je ne l’ai pas désirée parce qu’elle est venue comme un cadeau du destin est faux. Je n’ai jamais attendu qu’elle. Plus que tout, je souhaitais qu’elle vive, qu’elle rie, qu’elle soit heureuse. 

Un matin d’avril, les bruits lourds de camions qui résonnaient en permanence tout autour de nous se firent plus légers. Ce n’était pas la même armée qui passait sous nos fenêtres. Les Américains étaient là. Enfin, nous avons pu rentrer en Belgique.Le chauffeur du camion était noir. Il riait et nous offrait du chocolat. Du chocolat, cela faisait des années que nous n’en avions pas mangé. Moi, les envies de femme enceinte, je n’ai jamais su ce que cela pouvait signifier. A Verviers, la police nous attendait. Listes en main. Nous étions les premiers rexistes à revenir. On nous a dit de rentrer chez nous. Nous serions contactées plus tard. Le temps manquait pour régler cela immédiatement. Chez moi n’était plus chez moi. Ma mère était en prison (par la suite, en appel et après plusieurs mois derrière les barreaux, elle fut acquittée), mon père absent et le reste de la famille ne voulait rien savoir du bébé.  « Tu iras dans un couvent, tu accoucheras et tu leur laisseras l’enfant. » Jamais. Pour rien au monde !  

L’été arriva. Mon ventre s’épanouissait. En juin, je reçus 100 francs du secours civil.

En juillet, je fus déchue de mes droits civiques (jusqu’en 1950).

Une nuit d’août, les contractions commencèrent.Pour la première fois, je me suis sentie triste. Et seule. Affreusement seule. A l’hôpital, j’avais l’impression qu’on me regardait comme une étrangère, comme une bête curieuse.Cette fois, j’ai eu peur. J’ai eu mal mais je ne voulais pas crier. Je serrais les lèvres pour qu’aucune plainte ne les franchisse. Je voulais me faire toute petite. Qu’on me remarque à peine. 

Et pour moi, les choses s’arrangèrent. Une fois de plus. Le 6 août 1945, alors que le monde baignait dans l’horreur, je tenais dans mes bras l’être que j’avais désiré plus que tout au monde et grâce à qui je n’avais jamais perdu courage. Blonde et jolie comme je l’avais toujours imaginée. 

Maintenant ma fille a presque trois fois l’âge que j’avais à cette époque. Elle est belle, heureuse et en bonne santé mais elle n’aime pas cette histoire. Alors je la raconte à ma petite-fille qui a presque deux fois l’âge que j’avais à cette époque en espérant, peut-être inconsciemment, qu’elle explique à sa mère à quel point je l’ai toujours aimée.   

 

Nathalie Derny  

 

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Syndrome d’alcoolisme foetal

 

 

Il est malheureux de devoir en venir à des considérations plus sérieuses, enfin dirons-nous moins marrantes pour respecter la susceptibilité à fleur de peau de notre ami sommelier coordinateur de la parution de ces merveilleuses lignes, mais il faut l’avouer, la dive bouteille ne sied pas à tout le monde.Et le petit être à qui elle plaît le moins, c’est celui qui grandit au sein d’un utérus qui se veut accueillant et protecteur contre toutes les agressions qui soient. Or un placenta, même de course, ne peut rien contre les méfaits des gouttes d’alcool, même si elles sont toutes petites et même si ce ne sont que quelques bulles pour fêter dignement l’annonce de la grande nouvelle à beau-papa et à belle-maman !Oui, vous avez bien lu … La femme enceinte ne boit pas et ne peut pas boire la moindre goutte d’alcool.Triste constat mais étayé par d’innombrables données scientifiques.De la même façon qu’on ne fume pas, qu’on ne se drogue, qu’on ne mange pas les crudités de son giant si on est pas immunisée contre la toxoplasmose, qu’on ne mange pas de giant tout court et surtout en maxi-menu si on accuse déjà une bonne dizaine de kilos de trop à vingt semaines, on ne boit pas d’alcool quand on espère un heureux évènement. A moins de prendre le risque qu’il ne soit pas si heureux que ça ! Le syndrome d’alcoolisme fœtal est une pathologie connue depuis de nombreuses années et extrêmement bien documentée. Les publications internationales s’y rapportant sont multiples et concluent toutes aux méfaits de l’ingestion d’alcool durant la grossesse.Tout récemment et saisissant au bond la balle d’une actualité française en pleine prise de tête pour les vignerons quant à la législation sur les alcools, monsieur Rudy Demotte, ministre de la Santé Publique, a adressé une circulaire à tous les médecins pour les sensibiliser à ce problème. Il émet le souhait d’adapter les étiquettes des boissons alcoolisées afin d’y faire (probablement) mention du danger que constitue la consommation d’alcool durant la grossesse, espérant mettre un peu de plomb dans la cervelle des éventuelles consommatrices. Si l’idée est louable, je ne sais pas, pour ma part, si elle atteindra le but poursuivi. De même, je ne sais pas si les têtes de mort arborées par les paquets de cigarettes ont dissuadé les inconditionnels de s’adonner à leur vice. 

Par le passé (et malheureusement encore actuellement), bon nombre de médecins et même de gynécologues, s’ils mettaient en garde la future parturiente sur les dangers de l’alcool, s’en tenaient souvent à en interdire l’abus. Il semble effectivement que dans la vie l’abus nuit en tout, mais dans le cas qui nous intéresse, il n’est pas question d’abus mais simplement de consommation, même minime. Une grossesse dure 40 semaines. Admettons que l’on présente deux grossesses en sa vie. Finalement si on compte bien et si on retire ces 😯 semaines de la vie d’une femme, est-ce que ça ne vaut pas le coup de se priver du petit verre qui pourrait tout faire capoter ? Surtout s’il l’on additionne le nombre de semaines (soustrait de ces 😯 semaines, rapporté à l’âge de son gynécologue et corrélé à la date des dernières règles) qu’il reste dans la vie d’une femme pour faire la fête … Bon, d’accord si l’on veut plus que deux enfants, trois, quatre, cinq, les choses se compliquent mais à mon sens c’est une raison de plus pour les vouloir tous en bonne santé parce que finalement, trois enfants à conduire à l’école, au sport et chez les copains et un dans l’enseignement spécial, ça complique la vie de tous les jours … 

Mais que se passe-t-il chez le fœtus pour qu’il soit à ce point réfractaire aux bonnes choses de la vie ? 

Le fœtus vit dans l’utérus de sa mère pendant une longue série de semaines. Tout petit au début, il grandit peu à peu pour atteindre la taille qu’on lui connaît généralement à la naissance. Dans son nid, il est entouré de liquide et de deux membranes amniotiques. Les échanges nutritifs (à ce stade il ne demande qu’à manger et à grandir) sont gérés par ce magnifique organe qu’est le placenta. Placenta qui va aussi s’arranger pour éliminer les déchets de ses repas mais aussi le protéger contre le monde extérieur. C’est-à-dire sa mère. C’est pourquoi, on parle volontiers de barrière placentaire. Mais misère de misère, cette barrière n’est pas toujours aussi efficace qu’on le souhaiterait. Ou peut-être la nature n’a-t-elle tout simplement pas prévu que l’on puisse placer un petit être en gestation dans un bain d’alcool, ni de tabac, ni de tout autre drogue.Les choses étant ce qu’elles sont, le fœtus est sensible à l’alcool et accuse le coup durant toute sa durée d’hibernation avec une vulnérabilité accrue durant le premier trimestre de la grossesse, celui où il fait ses premières armes.L’éthanol et l’acétaldéhyde (produit de la dégradation de l’éthanol par le foie maternel) sont tous deux incriminés dans le processus. Ils passent la barrière placentaire et allègrement. Le foie du fœtus, lui, n’a pas le potentiel de métabolisation de celui de sa mère, pas le matériel enzymatique ad hoc, et il se laisse submerger par ce flot nuisible. N’ayant pas été capable de « digérer » tout cet alcool, son alcoolémie au départ identique à celle de sa mère, reste élevée de manière beaucoup plus prolongée. L’alcool interfère avec la formation de bien des organes. Mais le plus réceptif à sa toxicité est le cerveau fœtal dont il gêne, et pas qu’un peu, la multiplication des neurones, leur migration et le développement de leurs synapses.  

A quelle dose l’alcotest est-il positif, 0.8 ou 0.5 ? 

Tout d’abord et pour que les choses soient claires (et c’est pour ça que je vous entretiens si joliment), il faut admettre qu’une quantité affreusement minime et proche de zéro est requise pour agir tout en sachant que l’alcool est dommageable pour le fœtus à n’importe quel stade de la grossesse. Fichtre !Il fut une époque (révolue) où les médecins dans leur ignorance (c’est ce qui fait la beauté de la profession, nous ne sommes jamais que des ignorants plus au moins au courant de l’état actuel des connaissances …), préconisèrent des perfusions d’alcool (n’allez quand même pas imaginer une bouteille de médoc renversée dans le bouchon de laquelle on aurait fiché un tuyau relié à la patiente) pour stopper les contractions prématurées. Et ça marchait. Pas toujours (autre grande vérité à connaître en médecine : toujours n’existe jamais) mais ça marchait …Mais alors me direz-vous, les bébés étaient atteints d’alcoolisme fœtal ? Comme moi, comme mon frère ou mon amoureux car qui pourrait jurer que sa chère môôôman n’a jamais bu une petite bière pendant la grossesse ? Personne et c’est là que les choses se corsent, car une quantité risiblement faible peut nuire tout aussi bien qu’un casier par jour. Cette question d’un seuil à partir duquel la toxicité se manifeste est fondamentale. Il est clair que bien des patientes accepteront de diminuer une consommation d’alcool mais ne supporteront pas toujours l’idée d’un sevrage total. Et là, nous parlons de futures mères alcooliques mais il faut prendre en compte tout le reste de la population, celles qui boivent un verre au repas, un apéritif, un petit cocktail et qui se classent dans les buveuses occasionnelles parce que, rappelons-le, si l’occasion fait le larron, elle ne convient pas trop au lardon, enfin au rejeton, au poupon et à tous ces noms en on si mignons … Les études épidémiologiques réalisées dans les années nonante (Streissguth, 1989, Olsen, 1992) ont mis en évidence un risque accru de SAF* en cas de consommation continue ou importante pendant la grossesse. On parlait à l’époque d’une ingestion de plus de cinq boissons par jour (ce seuil est atteint par plus ou moins 1% des femmes enceintes). Des études plus récentes ont montré qu’une consommation intermittente ou même une intoxication (petite cuite du samedi soir en début de grossesse) peut provoquer des malformations fœtales. Pire, d’autres données (Day, 1994, Jacobson, 1994) ont prouvé que les enfants nés de mères ayant consommé un à deux verres par jour ou à l’occasion cinq verres à la fois, présentent des risques accrus de troubles du comportement et de l’apprentissage. Il y a vraiment de quoi faire ceinture durant toute la grossesse car dans l’état actuel des connaissances (si cher à la médecine), il n’y a aucune quantité limite dont on puisse dire avec certitude qu’elle ne sera pas délétère au fœtus. *syndrome d’alcoolisme fœtal  

On cause, on cause mais qu’est-ce que le syndrome d’alcoolisme fœtal ? 

Une histoire dont on se passerait volontiers !A part ça, comme tous les trucs pas gais regroupés sous le vocable syndrome, c’est une entité clinique répondant à plusieurs critères. Le diagnostic de SAF repose sur les caractéristiques suivantes :          retard de croissance prénatal et/ou postnatal          atteinte du système nerveux central : retard du développement, déficit intellectuel, malformations cérébrales          faciès caractéristique : fente des yeux courte, lèvre supérieure mince, microrétrognathisme (petit menton avec les dents inférieures en retrait par rapport aux supérieures), sillon mal dessiné entre la lèvre et le nez, narines ouvertes, front bombé et étroit, microcéphalie (petite tête), implantation basse des cheveux, paupières tombantes, yeux écartés, cataracte, oreilles décollées, mal ourlées et bas implantées. Dans 10 à 30 % des cas, d’autres malformations organiques sont associées, malformations cardiaques graves, anomalies de la formation du cerveau, anomalies des os au niveau du thorax, des membres, des mains et également malformations des reins et de l’arbre urinaire. A la naissance, le sevrage alcoolique du nouveau-né se manifeste dès le clampage du cordon ombilical. L’enfant présente l’agitation caractéristique du manque brutal de drogue. Cet état est toutefois passager et ne nécessite pas de prise en charge médicale particulière hormis celle d’une éventuelle prématurité surajoutée. Le retour à domicile se fera dans les délais normaux mais avec un suivi actif de la famille.  L’enfant reste de petite taille, maigre et pâle, les traits particuliers du visage persistant jusqu’à l’adolescence. A l’âge adulte, une certaine laideur apparaît, le visage s’allonge, le nez devient saillant tandis que le menton massif reste en retrait. Parallèlement à cette évolution physique, la situation n’est pas joyeuse sur le plan intellectuel. Le retard psychomoteur est évident dès les premiers pas scolaires. Les troubles du langage, le défaut d’attention, l’instabilité sont patents. Malgré le recours aux psychomotriciens, aux orthophonistes, l’enfant s’il s’améliore, ne compense jamais son retard intellectuel.Les sujets les plus touchés vivront en institution à l’âge adulte (soit 15 à 20 % d’entre eux) quant aux autres, ils se livreront bien souvent à des actes de délinquance imputables à un manque de jugement manifeste.Selon les études, le quotient intellectuel moyen est de 70. Il est d’autant plus bas que les anomalies physiques sont importantes.  Malheureusement, chez ces patients hautement influençables, le cercle vicieux s’amorce rapidement et plus de la moitié d’entre eux consomment de l’alcool. Chez la femme en âge de procréer, la malédiction frappe de nouveau, menant à une nouvelle génération d’enfants souffrant de SAF.  

Il y a-t-il des facteurs de risque associés à l’alcoolisme ? 

Certes oui.Il est évident que l’environnement dans lequel évolue la femme enceinte et dans lequel se déroule sa grossesse peut potentialiser les effets négatifs de l’alcool.Les conditions socio-économiques défavorables de la patiente alcoolique peuvent entraîner de façon concomitante à l’alcool un retard de croissance ou une prématurité.Le tabac, ennemi juré des bébés, associé à une éventuelle malnutrition, va combiner ses assauts à ceux de l’alcool et entraîner une moins bonne croissance fœtale par mauvais fonctionnement du placenta. Il existe une susceptibilité génétique dans la résistance à l’agression. Sans quoi, nous serions pour la plupart atteint de SAF, nous tous qui ne pouvons jurer que notre chère môôôman n’a jamais bu une goutte de vin durant la grossesse. Cette susceptibilité semble jouer à deux niveaux. Tout d’abord au niveau maternel (c’est ici qu’il faut dire merci à notre chère môôôman d’avoir lutté avec mérite) et ensuite au niveau fœtal. Des études ont montré que dans une même paire de jumeaux dizygotes (faux jumeaux), les atteintes sont extrêmement différentes, alors que les jumeaux homozygotes (même œuf, vrais jumeaux) atteints d’alcoolisme fœtal le sont avec la même sévérité. Ce qui tente à prouver que si les facteurs génétiques interviennent, ils le font dans la survenue du syndrome et également dans le degré d’atteinte. Et comme tout cela est bien assez compliqué comme ça et au risque de radoter grave, pas d’alcool pendant la grossesse ! C’est assurément le meilleur moyen pour ne pas faire partie d’une étude ! 

Est-ce fréquent ? 

Oui, c’est fréquent et largement méconnu du grand public, au point de devenir presque un parent pauvre de la médecine, une pathologie honteuse et niée voire une maladie orpheline.Alors que certaines atteintes congénitales ou de la petite enfance sont largement médiatisées comme la trisomie 21 ou la leucémie, les effets de l’alcool sur le fœtus et les séquelles neurologiques définitives qu’il entraîne laissent parfois indifférent.Pourtant, parmi les maladies congénitales graves du système nerveux central, le SAF arrive en tête de liste. Pas si loin de chez nous, à Roubaix, dans une maternité où accouchent les patientes de classes plus ou moins défavorisées, un nouveau-né sur 200 présentait en 1990 des signes évidents de SAF (Dehaene, 1996), c’est vous dire l’ampleur du phénomène ! En Europe, la fréquence du SAF varie de 1,6/000 en Suède à 2,9/000 en France. Globalement, il représente 5 % de toutes les malformations congénitales.  

Que faut-il faire ? 

Le traitement des enfants atteints d’alcoolisme fœtal est l’affaire de tous les thérapeutes de l’enfance. Les pédiatres, logopèdes, psychomotriciens ou encore psychologues permettront d’améliorer les capacités cognitives et d’apprentissage de ces patients. Ils ne pourront cependant jamais mener une scolarité normale et une vie adulte autonome. C’est pourquoi l’éducation à la santé est primordiale, dans ces familles où boire reste souvent le passe-temps favori. L’éducation des mères et leur désintoxication active afin d’éviter une nouvelle catastrophe est un des piliers de cette prise en charge multidisciplinaire. Donner la vie est une chose merveilleuse et s’il est des tragédies évitables, c’est bien celle-là. Le ton léger employé à travers ce texte ne diminue pas la gravité de cette pathologie. En tant que médecin, en tant que personnel soignant ou même en tant qu’ami d’une femme enceinte qui consomme de l’alcool, ne nous privons pas de la mettre en garde. Le jeu en vaut la chandelle.L’abstention d’alcool durant la grossesse n’est qu’une petite privation, une de plus peut-être, mais elle permet d’éviter le pire et cela n’a pas de prix. Il sera toujours temps de faire péter quelques bulles quand les arrhheeuu monteront du berceau.

 

Docteur Nathalie Derny

Gynécologue

Clinique Ste Anne – St Remi

Bruxelles                                                                                                                   

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