Rosa
C’est le dernier soir pour agir avant que le scandale n’éclate dans les journaux, ne s’ébruite dans les tonneaux ou à tout le moins ne s’évente dans les grumeaux.
La chose avait été découverte par le colonel Arturo Vidol. Les cartes de crédit ne faisant pas bon ménage avec la panoplie électronique dissimulée dans ses sous-vêtements, il emportait toujours avec lui, dans ses flâneries dispendieuses du samedi après-midi, la colonelle et quelques liasses de 500 euros, obligeant ainsi les commerçants à se défaire de leurs plus petites coupures.
C’est en classant son menu fretin, qu’il s’était rendu compte de la supercherie.
Sur le verso de quelques billets, apparaissaient en lieu et place des six petites étoiles blanches, un nombre identique de roses.
Devant la gravité économique de la situation, Vidol obtint carte blanche pour mettre la main sur le réseau de faux-monnayeurs, bien vite surnommé le gang à la Rose dans nos briefings du petit matin blafard.
Après de minutieuses recherches, nous étions arrivés à la certitude que le centre opérationnel du gang fleuri était un restaurant branché, un des lieux de rencontre à la mode du Beautiful People bruxellois.
Il ne nous restait qu’une soirée, dernier délai consenti par la banque nationale, pour endiguer la marée de roses.
Ce soir, à partir de 20 heures, à raison d’un arrivage toutes les dix minutes, nous déferlons sur le Rosa, bille en tête, balle au bout du fusil, billet à la main.
L’endroit était beau. A peine le hublot de la porte d’entrée poussé, l’on était saisi par le contraste puissant entre la progression glacée le long des boutiques pour y accéder et l’atmosphère chaude et pesante, composée de musique, de conversations bruyantes, d’éclairages tamisés, d’écrans à plasma dévoilant des corps artistiquement dénudés sur fond de couleurs psychédéliques.
Nous n’étions pas ici au buffet de la gare, mais bien dans un temple moderne de luxe et d’artifices, édifié, comme par hasard et par bonheur, sur les fondations d’une ancienne banque et il faudrait jouer serré pour éviter se faire pincer et enfermer dans ses chambres fortes.
Arrivée en tête à la patte de Millesoupirs, je pris aussitôt place à la table réservée pendant que mon complice se rendait aux toilettes placer quelques mouchards.
L’entrée suivante fut celle des sœurs Michemolle que nous avions revêtues de fleurs et de carreaux en passant par les lignes, cuir clair et capote en toile noire, avec la volonté affichée de se démarquer de cette mode qui nous asservit, pour qu’elles se fondent sans problème dans la beautiful foule. Elles se juchèrent au bar sur les tabourets Philippe Stark et démarrèrent au cocktail sans alcool.
Suivirent 53 bis et son amoureux des archives, surnommé la Fraude en raison de son adoration pour le fisc maudit, pendus l’un à l’autre et emmêlés dans leurs lèvres.
Puis vinrent Arturo et Ana et leur regard de conquérant sur le petit monde qu’ils croisèrent.
Ces quatre-là se tinrent au salon, blottis dans la soie avec, à leurs pieds en guise d’animal de compagnie, de jolies tables basses mais néanmoins raffinées. Ils commandèrent quelques sashimis et sashimois sont sur un bateau, avant de s’atteler au rapport textuel, qui devait me parvenir toutes les dix minutes.
La situation était calme. Les pions étaient en place. Le patron des lieux vint distribuer, magnanime, quelques clins d’œil, tapes sur l’épaule, mains et joues dans un rituel bien rodé. J’observais la salle entre deux bouchées de tartare de thon, juste ton, ni plus ni moins et quelques gorgées de Quinta de la Rosa, vin du Douro, juste choisi par le mille agent, qui savait parler aux papilles et aux femmes et qui connaissait le pouvoir des fleurs. Surtout des roses.
L’affaire sembla soudain s’emballer mais ce n’était qu’une fausse alerte, venue d’une difficulté à couper un morceau décent d’une lotte en croûte de kadaïf sur lit de chicons caramélisés, l’élasticité naturelle de la bête ne permettant pas le coup de couteau net et sans bavure, d’autant plus qu’il devait pourfendre une barrière de pâtes. Je terminai cependant sans tarder car nous approchions de la minute 53, celle de la vérité.
Dans un ensemble électroniquement orchestré, nous sortîmes respectivement nos billets de 500 euros, créant, dans le chef des serveurs, un vent de panique emportant les individus démunis à l’heure de rendre compte et monnaie vers le couloir menant aux locaux privés.
Sans nous faire prier, nous leur emboîtâmes le pas, moi en tête, 53 bis suçant ma route, le reste de la croupe en couverture.
La collision eût lieu à l’entrée d’une chambre forte, à l’instant où les contrefacteurs ayant omis de siffler deux fois, s’apprêtaient à faire tourner la planche à billets, sans le regard par-dessus l’épaule qui leur eût permis de sonner l’alarme au lieu de se retrouver menottés au pied de leur faiseuse d’eldorado.
Envolés rêves de papier, bonjour pyjamas rayés.
Moi je m’en retourne la savourer, cette bouteille du soleil voire en reprendre une toute pareille même sans la bénédiction d’un Millesoupirs tombant de sommeil et qui ne l’entend pas de cette oseille.
Bons baisers de partout.
Agent 53.
Rosa
Boulevard de Waterloo 36-37
1000 Bruxelles
Tél : 02 502 22 53