Il est malheureux de devoir en venir à des considérations plus sérieuses, enfin dirons-nous moins marrantes pour respecter la susceptibilité à fleur de peau de notre ami sommelier coordinateur de la parution de ces merveilleuses lignes, mais il faut l’avouer, la dive bouteille ne sied pas à tout le monde.Et le petit être à qui elle plaît le moins, c’est celui qui grandit au sein d’un utérus qui se veut accueillant et protecteur contre toutes les agressions qui soient. Or un placenta, même de course, ne peut rien contre les méfaits des gouttes d’alcool, même si elles sont toutes petites et même si ce ne sont que quelques bulles pour fêter dignement l’annonce de la grande nouvelle à beau-papa et à belle-maman !Oui, vous avez bien lu … La femme enceinte ne boit pas et ne peut pas boire la moindre goutte d’alcool.Triste constat mais étayé par d’innombrables données scientifiques.De la même façon qu’on ne fume pas, qu’on ne se drogue, qu’on ne mange pas les crudités de son giant si on est pas immunisée contre la toxoplasmose, qu’on ne mange pas de giant tout court et surtout en maxi-menu si on accuse déjà une bonne dizaine de kilos de trop à vingt semaines, on ne boit pas d’alcool quand on espère un heureux évènement. A moins de prendre le risque qu’il ne soit pas si heureux que ça ! Le syndrome d’alcoolisme fœtal est une pathologie connue depuis de nombreuses années et extrêmement bien documentée. Les publications internationales s’y rapportant sont multiples et concluent toutes aux méfaits de l’ingestion d’alcool durant la grossesse.Tout récemment et saisissant au bond la balle d’une actualité française en pleine prise de tête pour les vignerons quant à la législation sur les alcools, monsieur Rudy Demotte, ministre de la Santé Publique, a adressé une circulaire à tous les médecins pour les sensibiliser à ce problème. Il émet le souhait d’adapter les étiquettes des boissons alcoolisées afin d’y faire (probablement) mention du danger que constitue la consommation d’alcool durant la grossesse, espérant mettre un peu de plomb dans la cervelle des éventuelles consommatrices. Si l’idée est louable, je ne sais pas, pour ma part, si elle atteindra le but poursuivi. De même, je ne sais pas si les têtes de mort arborées par les paquets de cigarettes ont dissuadé les inconditionnels de s’adonner à leur vice.
Par le passé (et malheureusement encore actuellement), bon nombre de médecins et même de gynécologues, s’ils mettaient en garde la future parturiente sur les dangers de l’alcool, s’en tenaient souvent à en interdire l’abus. Il semble effectivement que dans la vie l’abus nuit en tout, mais dans le cas qui nous intéresse, il n’est pas question d’abus mais simplement de consommation, même minime. Une grossesse dure 40 semaines. Admettons que l’on présente deux grossesses en sa vie. Finalement si on compte bien et si on retire ces 😯 semaines de la vie d’une femme, est-ce que ça ne vaut pas le coup de se priver du petit verre qui pourrait tout faire capoter ? Surtout s’il l’on additionne le nombre de semaines (soustrait de ces 😯 semaines, rapporté à l’âge de son gynécologue et corrélé à la date des dernières règles) qu’il reste dans la vie d’une femme pour faire la fête … Bon, d’accord si l’on veut plus que deux enfants, trois, quatre, cinq, les choses se compliquent mais à mon sens c’est une raison de plus pour les vouloir tous en bonne santé parce que finalement, trois enfants à conduire à l’école, au sport et chez les copains et un dans l’enseignement spécial, ça complique la vie de tous les jours …
Mais que se passe-t-il chez le fœtus pour qu’il soit à ce point réfractaire aux bonnes choses de la vie ?
Le fœtus vit dans l’utérus de sa mère pendant une longue série de semaines. Tout petit au début, il grandit peu à peu pour atteindre la taille qu’on lui connaît généralement à la naissance. Dans son nid, il est entouré de liquide et de deux membranes amniotiques. Les échanges nutritifs (à ce stade il ne demande qu’à manger et à grandir) sont gérés par ce magnifique organe qu’est le placenta. Placenta qui va aussi s’arranger pour éliminer les déchets de ses repas mais aussi le protéger contre le monde extérieur. C’est-à-dire sa mère. C’est pourquoi, on parle volontiers de barrière placentaire. Mais misère de misère, cette barrière n’est pas toujours aussi efficace qu’on le souhaiterait. Ou peut-être la nature n’a-t-elle tout simplement pas prévu que l’on puisse placer un petit être en gestation dans un bain d’alcool, ni de tabac, ni de tout autre drogue.Les choses étant ce qu’elles sont, le fœtus est sensible à l’alcool et accuse le coup durant toute sa durée d’hibernation avec une vulnérabilité accrue durant le premier trimestre de la grossesse, celui où il fait ses premières armes.L’éthanol et l’acétaldéhyde (produit de la dégradation de l’éthanol par le foie maternel) sont tous deux incriminés dans le processus. Ils passent la barrière placentaire et allègrement. Le foie du fœtus, lui, n’a pas le potentiel de métabolisation de celui de sa mère, pas le matériel enzymatique ad hoc, et il se laisse submerger par ce flot nuisible. N’ayant pas été capable de « digérer » tout cet alcool, son alcoolémie au départ identique à celle de sa mère, reste élevée de manière beaucoup plus prolongée. L’alcool interfère avec la formation de bien des organes. Mais le plus réceptif à sa toxicité est le cerveau fœtal dont il gêne, et pas qu’un peu, la multiplication des neurones, leur migration et le développement de leurs synapses.
A quelle dose l’alcotest est-il positif, 0.8 ou 0.5 ?
Tout d’abord et pour que les choses soient claires (et c’est pour ça que je vous entretiens si joliment), il faut admettre qu’une quantité affreusement minime et proche de zéro est requise pour agir tout en sachant que l’alcool est dommageable pour le fœtus à n’importe quel stade de la grossesse. Fichtre !Il fut une époque (révolue) où les médecins dans leur ignorance (c’est ce qui fait la beauté de la profession, nous ne sommes jamais que des ignorants plus au moins au courant de l’état actuel des connaissances …), préconisèrent des perfusions d’alcool (n’allez quand même pas imaginer une bouteille de médoc renversée dans le bouchon de laquelle on aurait fiché un tuyau relié à la patiente) pour stopper les contractions prématurées. Et ça marchait. Pas toujours (autre grande vérité à connaître en médecine : toujours n’existe jamais) mais ça marchait …Mais alors me direz-vous, les bébés étaient atteints d’alcoolisme fœtal ? Comme moi, comme mon frère ou mon amoureux car qui pourrait jurer que sa chère môôôman n’a jamais bu une petite bière pendant la grossesse ? Personne et c’est là que les choses se corsent, car une quantité risiblement faible peut nuire tout aussi bien qu’un casier par jour. Cette question d’un seuil à partir duquel la toxicité se manifeste est fondamentale. Il est clair que bien des patientes accepteront de diminuer une consommation d’alcool mais ne supporteront pas toujours l’idée d’un sevrage total. Et là, nous parlons de futures mères alcooliques mais il faut prendre en compte tout le reste de la population, celles qui boivent un verre au repas, un apéritif, un petit cocktail et qui se classent dans les buveuses occasionnelles parce que, rappelons-le, si l’occasion fait le larron, elle ne convient pas trop au lardon, enfin au rejeton, au poupon et à tous ces noms en on si mignons … Les études épidémiologiques réalisées dans les années nonante (Streissguth, 1989, Olsen, 1992) ont mis en évidence un risque accru de SAF* en cas de consommation continue ou importante pendant la grossesse. On parlait à l’époque d’une ingestion de plus de cinq boissons par jour (ce seuil est atteint par plus ou moins 1% des femmes enceintes). Des études plus récentes ont montré qu’une consommation intermittente ou même une intoxication (petite cuite du samedi soir en début de grossesse) peut provoquer des malformations fœtales. Pire, d’autres données (Day, 1994, Jacobson, 1994) ont prouvé que les enfants nés de mères ayant consommé un à deux verres par jour ou à l’occasion cinq verres à la fois, présentent des risques accrus de troubles du comportement et de l’apprentissage. Il y a vraiment de quoi faire ceinture durant toute la grossesse car dans l’état actuel des connaissances (si cher à la médecine), il n’y a aucune quantité limite dont on puisse dire avec certitude qu’elle ne sera pas délétère au fœtus. *syndrome d’alcoolisme fœtal
On cause, on cause mais qu’est-ce que le syndrome d’alcoolisme fœtal ?
Une histoire dont on se passerait volontiers !A part ça, comme tous les trucs pas gais regroupés sous le vocable syndrome, c’est une entité clinique répondant à plusieurs critères. Le diagnostic de SAF repose sur les caractéristiques suivantes :– retard de croissance prénatal et/ou postnatal– atteinte du système nerveux central : retard du développement, déficit intellectuel, malformations cérébrales– faciès caractéristique : fente des yeux courte, lèvre supérieure mince, microrétrognathisme (petit menton avec les dents inférieures en retrait par rapport aux supérieures), sillon mal dessiné entre la lèvre et le nez, narines ouvertes, front bombé et étroit, microcéphalie (petite tête), implantation basse des cheveux, paupières tombantes, yeux écartés, cataracte, oreilles décollées, mal ourlées et bas implantées. Dans 10 à 30 % des cas, d’autres malformations organiques sont associées, malformations cardiaques graves, anomalies de la formation du cerveau, anomalies des os au niveau du thorax, des membres, des mains et également malformations des reins et de l’arbre urinaire. A la naissance, le sevrage alcoolique du nouveau-né se manifeste dès le clampage du cordon ombilical. L’enfant présente l’agitation caractéristique du manque brutal de drogue. Cet état est toutefois passager et ne nécessite pas de prise en charge médicale particulière hormis celle d’une éventuelle prématurité surajoutée. Le retour à domicile se fera dans les délais normaux mais avec un suivi actif de la famille. L’enfant reste de petite taille, maigre et pâle, les traits particuliers du visage persistant jusqu’à l’adolescence. A l’âge adulte, une certaine laideur apparaît, le visage s’allonge, le nez devient saillant tandis que le menton massif reste en retrait. Parallèlement à cette évolution physique, la situation n’est pas joyeuse sur le plan intellectuel. Le retard psychomoteur est évident dès les premiers pas scolaires. Les troubles du langage, le défaut d’attention, l’instabilité sont patents. Malgré le recours aux psychomotriciens, aux orthophonistes, l’enfant s’il s’améliore, ne compense jamais son retard intellectuel.Les sujets les plus touchés vivront en institution à l’âge adulte (soit 15 à 20 % d’entre eux) quant aux autres, ils se livreront bien souvent à des actes de délinquance imputables à un manque de jugement manifeste.Selon les études, le quotient intellectuel moyen est de 70. Il est d’autant plus bas que les anomalies physiques sont importantes. Malheureusement, chez ces patients hautement influençables, le cercle vicieux s’amorce rapidement et plus de la moitié d’entre eux consomment de l’alcool. Chez la femme en âge de procréer, la malédiction frappe de nouveau, menant à une nouvelle génération d’enfants souffrant de SAF.
Il y a-t-il des facteurs de risque associés à l’alcoolisme ?
Certes oui.Il est évident que l’environnement dans lequel évolue la femme enceinte et dans lequel se déroule sa grossesse peut potentialiser les effets négatifs de l’alcool.Les conditions socio-économiques défavorables de la patiente alcoolique peuvent entraîner de façon concomitante à l’alcool un retard de croissance ou une prématurité.Le tabac, ennemi juré des bébés, associé à une éventuelle malnutrition, va combiner ses assauts à ceux de l’alcool et entraîner une moins bonne croissance fœtale par mauvais fonctionnement du placenta. Il existe une susceptibilité génétique dans la résistance à l’agression. Sans quoi, nous serions pour la plupart atteint de SAF, nous tous qui ne pouvons jurer que notre chère môôôman n’a jamais bu une goutte de vin durant la grossesse. Cette susceptibilité semble jouer à deux niveaux. Tout d’abord au niveau maternel (c’est ici qu’il faut dire merci à notre chère môôôman d’avoir lutté avec mérite) et ensuite au niveau fœtal. Des études ont montré que dans une même paire de jumeaux dizygotes (faux jumeaux), les atteintes sont extrêmement différentes, alors que les jumeaux homozygotes (même œuf, vrais jumeaux) atteints d’alcoolisme fœtal le sont avec la même sévérité. Ce qui tente à prouver que si les facteurs génétiques interviennent, ils le font dans la survenue du syndrome et également dans le degré d’atteinte. Et comme tout cela est bien assez compliqué comme ça et au risque de radoter grave, pas d’alcool pendant la grossesse ! C’est assurément le meilleur moyen pour ne pas faire partie d’une étude !
Est-ce fréquent ?
Oui, c’est fréquent et largement méconnu du grand public, au point de devenir presque un parent pauvre de la médecine, une pathologie honteuse et niée voire une maladie orpheline.Alors que certaines atteintes congénitales ou de la petite enfance sont largement médiatisées comme la trisomie 21 ou la leucémie, les effets de l’alcool sur le fœtus et les séquelles neurologiques définitives qu’il entraîne laissent parfois indifférent.Pourtant, parmi les maladies congénitales graves du système nerveux central, le SAF arrive en tête de liste. Pas si loin de chez nous, à Roubaix, dans une maternité où accouchent les patientes de classes plus ou moins défavorisées, un nouveau-né sur 200 présentait en 1990 des signes évidents de SAF (Dehaene, 1996), c’est vous dire l’ampleur du phénomène ! En Europe, la fréquence du SAF varie de 1,6/000 en Suède à 2,9/000 en France. Globalement, il représente 5 % de toutes les malformations congénitales.
Que faut-il faire ?
Le traitement des enfants atteints d’alcoolisme fœtal est l’affaire de tous les thérapeutes de l’enfance. Les pédiatres, logopèdes, psychomotriciens ou encore psychologues permettront d’améliorer les capacités cognitives et d’apprentissage de ces patients. Ils ne pourront cependant jamais mener une scolarité normale et une vie adulte autonome. C’est pourquoi l’éducation à la santé est primordiale, dans ces familles où boire reste souvent le passe-temps favori. L’éducation des mères et leur désintoxication active afin d’éviter une nouvelle catastrophe est un des piliers de cette prise en charge multidisciplinaire. Donner la vie est une chose merveilleuse et s’il est des tragédies évitables, c’est bien celle-là. Le ton léger employé à travers ce texte ne diminue pas la gravité de cette pathologie. En tant que médecin, en tant que personnel soignant ou même en tant qu’ami d’une femme enceinte qui consomme de l’alcool, ne nous privons pas de la mettre en garde. Le jeu en vaut la chandelle.L’abstention d’alcool durant la grossesse n’est qu’une petite privation, une de plus peut-être, mais elle permet d’éviter le pire et cela n’a pas de prix. Il sera toujours temps de faire péter quelques bulles quand les arrhheeuu monteront du berceau.
Docteur Nathalie Derny
Gynécologue
Clinique Ste Anne – St Remi
Bruxelles